Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/287

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dans leurs formes et dans leurs traits pour qu’elles puissent être ce que vous supposez.

— Je n’ai pourtant rien dit qui ne soit vrai.

— Mais regardez leurs mains, mistress Bloomfield. Elles portent des gants de France, ou je me trompe fort.

— Je n’affirmerais pas positivement que celles qui portent des gants de France soient des laitières, quoique j’aie vu ce prodige, mais soyez sûr que les femmes sont ici le pendant des hommes. Je conviens qu’elles sont jolies et bien faites pour des femmes de leur classe, et pourtant miss Effingham nous dit que c’est ce que vous appelez en Angleterre une grossièreté démocratique.

Sir George sourit ; mais comme ce qu’on appelle dans le pays « les exercices » allait commencer, il ne fit aucune autre réponse.

Ces « exercices » commencèrent par une musique instrumentale, ce qui est certainement le côté le plus faible de la civilisation américaine. Ce qu’on en entendit ce jour-là avait trois défauts essentiels, tous assez généraux pour être appelés caractéristiques, sous un point de vue national. D’abord, les instruments étaient mauvais ; ensuite ils étaient assortis sans aucun égard pour l’harmonie ; enfin ceux qui en jouaient ne savaient pas s’en servir. De même que, dans certaines grandes villes américaines, on regarde comme la belle la plus distinguée celle qui peut répéter le plus haut ce qu’elle a appris de sa nourrice, ainsi à Templeton on regardait comme le meilleur musicien celui qui pouvait donner le plus d’éclaté une fausse note. En un mot, le bruit était tout ce qui était nécessaire et quant à ce qui concerne la mesure, cette grande régulatrice de toute harmonie, Paul Powis dit tout bas au capitaine Truck que l’air qu’ils venaient d’entendre ressemblait exactement à ce que les marins appelaient un round robin, ce qui est une manière de signer une lettre écrite par eux en commun, de manière qu’il est impossible de savoir où est le commencement et la fin.

Il fallut tout le savoir-vivre parisien de mademoiselle Viefville pour qu’elle pût conserver sa gravité pendant cette ouverture, quoique ses yeux brillants, animés, et vraiment français, parcourussent sans cesse toute l’assemblée avec un air de satisfaction qui, comme l’aurait dit M. Bragg, la rendit très-populaire. Personne d’autre, parmi la compagnie venue du wigwam, à l’exception du capitaine Truck, n’osa lever les yeux ; mais chacun tint ses regards attachés sur le plancher, comme s’il eût joui en silence