Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/326

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— Et s’il avait le courage de me dire ce que vous savez qu’il pense, quelle devrait être ma réponse, suivant Nanny Sidley ?

— Oh ! miss Ève, je sais qu’elle serait juste ce qu’elle devrait être. Je ne puis répéter ce que disent les jeunes personnes en pareille occasion ; mais je sais que c’est ce qui fait sauter de joie le cœur des jeunes gens.

Il y a des moments où une femme peut difficilement se passer de la sympathie d’une autre. Ève aimait tendrement son père et avait en lui une confiance plus qu’ordinaire, car jamais elle n’avait connu sa mère ; mais si elle avait eu cette conversation avec lui, malgré toute sa confiance dans l’affection paternelle, elle n’aurait pu lui parler de ses sentiments aussi librement qu’elle l’aurait fait à une mère, si la mort ne l’eût privée du bonheur d’en avoir une. D’une autre part, il existait entre notre héroïne et Nanny Sidley une confiance dont la nature était si particulière, qu’elle exige un mot d’explication avant que nous en rapportions les effets. En ce qui regarde les soins de son enfance, Nanny avait été pour Ève une mère, et même plus qu’une mère, et cette circonstance avait donné à Ève une grande confiance en elle, et avait inspiré à celle-ci un esprit de surveillance qui faisait qu’elle s’imaginait être responsable même de la santé de l’enfant. Mais ce n’est pas tout : Nanny avait été la dépositaire des petits chagrins de l’enfance d’Ève, la confidente des petits secrets de sa première jeunesse, et quand l’âge de miss Effingham la fit placer sous la direction d’une femme plus propre à lui former l’esprit et à l’orner des talents et des connaissances convenables à son sexe, Ève continua toujours à avoir la même attention et la même confiance pour celle qui lui avait donné tant de preuves de tendresse. L’effet d’une telle intimité était quelquefois amusant, Ève apportant dans leurs entretiens un esprit cultivé et orné, des habitudes formées dans les cercles les plus distingués de la chrétienté, et des goûts puisés à la meilleure école, tandis qu’une tendresse fervente et sincère, une fidélité qui ennoblissait son caractère, et une simplicité qui prouvait la pureté de toutes ses pensées, formaient à peu près tout ce que Nanny pouvait y mettre de son côté. Cette confiance peu ordinaire n’était pas sans avantage pour Ève ; car, jetée si jeune dans une société où il se trouve tant de gens artificieux et intéressés, elle servait à tenir en haleine son caractère ingénu, et à la préserver de ce froid esprit d’égoïsme qui remplit le cœur de tant de femmes à la mode parce qu’elles