Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/331

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qu’il lui avait données ensuite avaient éclairci tout ce qui paraissait mystérieux dans cette affaire désagréable, et depuis ce temps elle l’avait regardé avec les yeux d’une partialité pleine de confiance. Les paroles de mistress Bloomfield sonnèrent à son oreille comme le tintement d’une cloche funèbre, et son amie fut effrayée un instant de l’effet qu’avait produit sur elle ce qu’elle venait de lui dire. Jusqu’à ce moment mistress Bloomûeld ne s’était pas fait une juste idée de l’étendue de l’intérêt qu’Ève prenait à Paul, car elle n’était instruite que très-imparfaitement des rapports qu’ils avaient eus en Europe, et elle se repentit sincèrement d’avoir entamé ce sujet de conversation. Mais il était trop tard pour faire un pas en arrière, et serrant Ève dans ses bras, elle baisa son front pâle et froid, et se hâta de réparer, du moins en partie, le mal qu’elle avait fait.

— Je crains d’avoir employé des expressions trop fortes, dit-elle ; mais j’ai tant d’horreur pour la manière dont les jeunes personnes de notre sexe sont abandonnées dans ce pays aux intrigues des hommes égoïstes et intéressés, que je suis peut-être trop susceptible quand j’en vois une que j’aime exposée au même danger. Vous êtes connue pour être une des plus riches héritières de ce pays, et je rougis de dire que, d’après tout ce que j’entends dire de la société en Europe, la profession de coureur de fortune n’y est pas plus fréquente qu’elle ne l’est devenue ici.

La rougeur du mécontentement succéda à la pâleur sur les joues de miss Effingham.

— M. Powis n’est pas un coureur de fortune, mistress Bloomfield, dit-elle d’un ton ferme ; toute sa conduite, depuis trois ans, prouve qu’il est bien loin de mériter un pareil reproche. Il n’a peut-être pas une fortune très-considérable, mais il est assez riche pour ne pas être dans la nécessité de jouer un rôle si bas.

— Je m’aperçois de mon erreur, mais je me suis trop avancée pour pouvoir reculer. Je n’ose pas dire positivement que M. Powis soit un coureur de fortune, mais du moins il y a dans son histoire des circonstances dont il est bon que vous soyez informée, et sans délai. J’ai mieux aimé vous parler que de m’adresser à votre digne père, parce que j’ai cru que vous pourriez, dans une occasion semblable, préférer d’avoir une femme pour confidente, même plutôt que votre protecteur naturel. J’avais pensé à mistress Hawker à cause de son âge ; mais je ne me suis pas crue autorisée à lui communiquer un secret que le hasard seul m’avait appris.