Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/333

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d’autant plus volontiers que je sais qu’ils seront écoutés par une oreille indulgente, et faits à une amie disposée à voir même mes folies d’un œil favorable.

Ève l’assura par un sourire amical, quoique pénible, qu’elle ne se trompait pas ; et mistress Bloomfield, après avoir étudié un instant l’expression de la physionomie de sa jeune amie, reprit la parole.

— De même que toute la ville d’York, cette ville remplie de jeunes babillardes qui parlent comme l’eau coule, sans savoir pourquoi et sans produire aucun effet, et de jeunes gens à gros favoris qui s’imaginent que Broadway est le monde, et que les intrigues de salons en miniature sont la nature humaine, j’ai cru, à votre retour d’Europe, qu’un amant en titre vous suivait en la personne d’un baronnet anglais.

— Rien dans ma conduite ni dans celle de sir George Templemore ou d’aucune personne de ma famille n’a pu justement donner lieu à une pareille idée, s’écria Ève avec vivacité.

— Justement ! Qu’ont de commun la justice, la vérité, et même la probabilité, avec un bruit qui a rapport à l’amour et au mariage ? Ne connaissez-vous pas assez bien la société de cette ville pour voir l’invraisemblance de cette supposition ?

— Je sais, ma chère mistress Bloomfield, que les personnes de notre sexe consulteraient mieux leur dignité et se rendraient plus respectables si elles parlaient moins de pareilles choses, et qu’elles se mettraient plus en état d’acquérir l’habitude du bon goût, pour ne pas dire des bons principes, si elles bornaient leurs critiques aux choses et qu’elles se mêlassent moins des personnes.

— Et s’il vous plaît, n’y a-t-il pas des commérages et des médisances parmi les autres nations civilisées comme dans celle-ci ? Ne s’y permet-on pas des commentaires sur ses voisins ?

— Sans contredit ; mais je crois qu’en général on pense partout que c’est la preuve d’un ton commun et d’une habitude de mauvaise compagnie.

— En cela nous sommes parfaitement du même avis, car s’il y a quelque chose qui trahisse un sentiment intime d’infériorité, c’est de faire des autres le sujet constant de notre conversation. Nous pouvons parler de vertus, car c’est rendre hommage à ce qui en est digne ; mais quand nous en venons à appuyer sur les défauts, c’est une preuve que nous sommes secrètement convaincus de la supériorité qu’a sur nous l’objet de notre censure, en