Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/390

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est pas donné d’être parfaits, et j’espère que vous envisagerez cette affaire sous un point de vue moins sombre. Quant à moi, je soutiens que la corde à sauter est pire que le valet de pique, soit le dimanche, soit les jours ouvriers. — Allons, commodore, il faut nous arracher à cette bonne compagnie, ou nous ne verrions pas un brochet aujourd’hui.

Les deux vieux espiègles prirent alors congé de mistress Abbot pour se rendre sur leurs barques ; mais avant de partir, le capitaine lui offrit de la délivrer de la vue odieuse de ce jeu de cartes, dont il prévoyait qu’il aurait occasion de se servir, en lui promettant qu’il le jetterait consciencieusement dans la partie du lac où l’eau avait le plus de profondeur ; ce qu’elle accepta très-volontiers.

Quand les deux amis furent sur le lac, à une distance raisonnable du rivage, le commodore cessa tout à coup de ramer, fit un grand geste du bras, et se mit à rire à gorge déployée, en homme qui sentait qu’il n’avait plus besoin de se contraindre. Le capitaine Truck, qui venait d’allumer son cigare, se mit à fumer, et comme il se livrait très-rarement à une gaieté bruyante, il ne lui répondit que des yeux, secouant la tête de temps en temps avec un air de satisfaction, quand une idée plaisante ou burlesque se présentait à son esprit.

— Écoutez-moi, commodore, dit-il en lâchant une bouffée de fumée qu’il suivit des yeux tandis qu’elle s’élevait en petit nuage ; — ni vous ni moi, nous ne sommes de jeunes poulets ; nous avons étudié le monde, vous sur l’eau fraîche, et moi sur l’eau salée. Je ne dis pas laquelle des deux produit de plus grands savants, mais je sais que l’une et l’autre font de meilleurs chrétiens que le système du levier.

— Précisément. Je leur dis dans le village qu’il y a peu de chose à gagner en suivant un aveugle. C’est ma doctrine, Monsieur.

— Et je ne doute pas que ce ne fût une excellente doctrine, si vous y entriez un peu plus à fond.

— Eh bien ! Monsieur, je puis vous expliquer…

— Pas une syllabe de plus ; cela est inutile. Je sais ce que vous voulez dire aussi bien que si je l’avais dit moi-même. Vous voulez dire qu’un pilote doit savoir vers quel lieu il gouverne, et c’est une doctrine parfaitement saine. Ma propre expérience m’apprend que si vous appuyez le pied sur le nez d’un esturgeon, il le relèvera dès que vous cesserez de le presser. Or un levier élèvera