Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/77

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ronnet redoublait ses assiduités dans State-Street. Ève devenait de jour en jour plus franche et moins réservée avec lui, attendu qu’elle s’apercevait qu’il avait renoncé à l’espoir de lui plaire ; Grace au contraire montrait graduellement plus de retenue et de timidité, parce qu’elle ne pouvait se dissimuler l’intérêt qu’il prenait à elle.

Environ trois jours après le bal de mistress Houston, la famille Effingham fut invitée à passer la soirée chez une mistress Légende, dame qui avait le goût de la littérature, et sir George fut invité à les accompagner. Aristobule était déjà retourné à la campagne où nous aurons bientôt occasion d’aller le rejoindre ; mais une invitation avait été envoyée au capitaine Truck, sur la profession duquel, grâce aux soins de miss Ring, chacun se méprenait encore.

Le goût pour la littérature, pour les arts, pour quelque chose que ce soit, est une impulsion naturelle comme l’amour. Il est vrai que les circonstances peuvent faire naître et augmenter l’un et l’autre, mais l’impulsion doit être volontaire, car le flux du sentiment ou de l’âme, comme il est passé en loi de le nommer, ne peut être forcé de couler ou de s’arrêter au gré de la volonté. C’est pour cette raison que les plaisirs intellectuels qui sont prémédités manquent souvent de répondre à l’attente qu’on avait conçue, et que les séances d’académie, les clubs, coteries et dîners littéraires sont en général ennuyeux. Il est vrai qu’on peut réunir un certain nombre de gens d’esprit, et si on les laisse à leur propre impulsion, ils montreront ce qu’ils sont : l’esprit brillera, et la pensée répondra d’elle-même à la pensée. Mais tous les efforts qu’on fait pour rendre aimables des gens stupides en donnant une direction aux moyens qu’on leur suppose, ne sert qu’à rendre leur sottise plus remarquable en la mettant en contraste avec l’esprit qu’on en attend ; comme un mauvais tableau le paraît encore davantage, s’il est placé dans un cadre richement sculpté et doré. Tel était le destin de la plupart des soirées littéraires de mistress Légende, où l’on regardait comme un homme distingué celui qui possédait une seule langue étrangère. On savait qu’Ève connaissait la plupart de celles d’Europe, et la bonne dame, ne sentant pas que de pareils talents sont principalement utiles comme moyens, avait cherché à réunir une société dans laquelle notre héroïne pût trouver quelqu’un en état de converser avec elle dans chacune des langues qu’elle savait. Elle ne s’en était pas vantée,