Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/60

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— Vois-tu là-bas cet homme d’une taille élevée et imposante, chez qui la gravité et la dignité se mêlent si étrangement à un air de pauvreté ? — Je ne veux pas dire une pauvreté absolue, car il est mieux mis et paraît être dans une situation plus prospère que je ne me souviens de l’avoir jamais vu. Cependant il est aisé de voir qu’il n’est ni riche ni noble, quoique son port et sa tournure pussent le faire prendre pour un monarque.

— Je crois à présent apercevoir celui dont vous parlez. C’est un homme dont l’aspect est grave et vénérable, quoiqu’il joigne un air de simplicité. — Je ne vois rien d’extraordinaire ni de déplacé dans sa mise ou dans ses manières.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. — Il y a dans sa physionomie une dignité, une fierté qu’on n’est pas accoutumé à trouver dans un homme qui n’a pas l’habitude du pouvoir.

— À mes yeux, il a l’air d’un navigateur de première classe, — d’un pilote, d’un homme qui a fait des voyages sur mer. Oui ; il porte sur lui des symboles qui l’annoncent.

— Tu ne te trompes pas, don Luis ; telle est sa profession. Il vient de Gênes, et il se nomme Christoval Colon, ou, comme on l’appelle en Italie, Christoforo Colombo.

— Je me souviens d’avoir entendu parler d’un amiral de ce nom, qui rendit de signalés services dans les guerres du sud, et qui conduisit autrefois une flotte bien loin à l’est.

— Ce n’est pas celui-là. C’est un homme dont les fonctions ont été plus humbles, quoiqu’il puisse être du même sang, puisqu’ils sont nés tous deux dans la même ville. Non, il n’est pas amiral, mais il aimerait à le devenir ; — oui, et même roi.

— Cet homme a donc l’esprit faible, ou il est dévoré d’une ambition absurde ?

— Ni l’un ni l’autre. Son esprit surpasse celui de beaucoup de nos ecclésiastiques les plus savants ; et ce n’est que rendre justice à sa piété de dire qu’il n’existe pas un meilleur chrétien en Espagne. On voit, mon fils, que tu as passé beaucoup de temps en pays étranger et fort peu à la cour, sans quoi tu aurais su l’histoire de cet être extraordinaire, en entendant prononcer son nom, nom qui, depuis bien des années, a prêté à la gaieté inconsidérée des courtisans frivoles, mais qui a fait naître dans l’esprit des hommes prudents et réfléchis plus de doutes que beaucoup de fatales hérésies.