Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/95

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affectation. Dans ses pensées, dans ses discours, dans ses actions, elle était la vérité même ; et la tendresse conjugale lui faisait éprouver un double plaisir en s’occupant ainsi pour un mari qu’elle aimait tendrement comme homme, quoiqu’il fût impossible qu’elle se dissimulât entièrement tous ses défauts comme monarque. Auprès d’elle était assise la compagne de sa jeunesse, son amie éprouvée et dévouée, Béatrix de Cabréra ; Mercédès occupait un tabouret aux pieds de l’infante Isabelle ; deux ou trois dames de la maison de la reine se tenaient à sa portée, avec ces légères distinctions de rang qui annonçaient la présence de la royauté, mais tout en conservant cet air de liberté qui rendait leur service agréable plutôt que fatigant. Le roi lui-même écrivait sur une table, dans un coin éloigné de ce vaste appartement, et personne, pas même le nouvel archevêque, n’avait la présomption d’en approcher. La conversation avait lieu d’un ton un peu plus bas que de coutume, et la reine elle-même, dont la voix était toujours mélodieuse, en modulait les sons de manière à ne pas déranger la suite des pensées dont son illustre époux semblait profondément occupé. Dans le moment où nous la présentons au lecteur, Isabelle avait aussi été quelque temps plongée dans ses réflexions, et un silence général régnait dans le cercle de dames assises devant les petites tables de travail.

— Marquise ma fille, dit enfin la reine, car c’était ainsi qu’elle nommait ordinairement doña Béatrix, avez-vous vu depuis peu le señor Colon, ce pilote qui a fait tant de sollicitations relativement à ce voyage à l’ouest, ou en avez-vous entendu parler ?

Un coup d’œil d’intelligence et de satisfaction que se jetèrent à la hâte la marquise et sa pupille révéla l’intérêt qu’elles prenaient à cette question, et la première y répondit comme l’exigeaient son devoir et son respect pour sa maîtresse.

— Vous vous rappelez, Señora, qu’il lui a été écrit par le père Juan Pérez, ancien confessent de Votre Altesse, qui est venu de son couvent de Santa Maria de Rabida en Andalousie, pour intercéder en sa faveur, afin que ses grands desseins ne fussent pas perdus pour la Castille.

— Vous croyez donc qu’il y a quelque chose de grand dans ses desseins ?

— Quelqu’un peut-il en juger autrement, Señora ? ils semblent raisonnables et naturels ; et, si Colon ne se trompe pas, n’est-ce pas une grande et louable entreprise que celle qui a pour objet