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DEERSLAYER

comme les habitants. Un petit nombre d’enfants rôdant d’une hutte à l’autre lui donnaient un peu l’air de la vie domestique ; puis les rires étouffés et les voix timides des femmes troublaient de temps en temps le calme profond des sombres forêts. Quant aux hommes, ils mangeaient, dormaient, ou examinaient leurs armes. Ils causaient peu, et encore c’était à part et en groupes éloignés des femmes ; tandis qu’un air d’appréhension et de vigilance infatigable et innée semblait ne pas les quitter, même durant le sommeil.

Au moment où les deux jeunes filles arrivèrent près du campement, Hetty poussa une légère exclamation en apercevant son père. Il était assis par terre, adossé contre un arbre ; Hurry se tenait debout à ses côtés, et coupait nonchalamment une petite branche. En apparence ils avaient dans le camp autant de liberté que les autres ; et quelqu’un non accoutumé aux usages indiens les aurait pris pour des étrangers plutôt que pour des captifs. Wah-ta !-Wah conduisit son amie auprès d’eux, puis se retira modestement, afin que sa présence ne troublât pas la manifestation des sentiments de sa compagne ; mais Hetty n’était pas assez habituée aux caresses ou aux démonstrations extérieures de tendresse pour éclater en transports de sensibilité. Elle s’approcha simplement, et se tint à côté de son père sans parler, semblable à une statue de l’amour filial. Le vieillard ne témoigna ni alarme ni surprise à cette soudaine apparition. En cela il était imbu du stoïcisme des Indiens, sachant bien qu’il n’y avait pas de plus sûr moyen de gagner leur respect que d’imiter leur sang-froid. Les sauvages eux-mêmes ne manifestèrent pas non plus le plus léger signe d’émotion en voyant tout à coup une étrangère au milieu d’eux. En un mot, cette arrivée produisit une sensation bien moins visible, malgré les circonstances si particulières qui l’accompagnaient, que n’en produirait dans un village soi-disant civilisé l’arrivée d’un voyageur ordinaire arrêtant sa voiture à la porte de la principale auberge. Cependant un petit nombre de guerriers se rassemblèrent, et il était évident, à la manière dont ils examinèrent Hetty en causant ensemble, qu’elle était le sujet de leur entretien, et qu’ils cherchaient à deviner le motif de sa présence inattendue. Ce flegme est caractéristique chez l’Indien de l’Amérique septentrionale ; certaines personnes prétendent qu’il en est de même chez leurs successeurs blancs ; mais dans la circonstance en question, il faut en attribuer une bonne partie à la situation où se trouvaient les Hurons. Les forces de l’arche, à l’exception de la présence de Chingachgook, étaient parfaitement connues ; on ne croyait pas qu’il y eût aucune tribu ni aucun corps de troupes