Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/209

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et qui n’eut imité la conduite du vétéran en refusant les offres les plus séduisantes, quoique probablement par des motifs moins méritoires. Le soldat qui le gardait éprouvait même un sentiment secret de dépit en entendant son prisonnier jouir d’un sommeil dont il était privé lui-même, et faire preuve ainsi de tant d’indifférence pour le châtiment le plus sévère que les lois de la guerre pouvaient infliger aux traîtres. Plus d’une fois il fut tenté de troubler ce repos extraordinaire du colporteur en l’accablant de reproches et d’injures ; mais la discipline à laquelle il était soumis et une honte involontaire de sa brutalité le retinrent dans les bornes de la modération.

La vivandière interrompit ces réflexions. Elle arriva par une porte communiquant à la cuisine, en proférant des malédictions contre les domestiques des officiers, qui, par leurs espiègleries, avaient troublé le sommeil qu’elle goûtait près du feu. Le factionnaire comprit assez ses imprécations pour savoir ce dont il s’agissait, mais tous ses efforts pour entrer en conversation avec cette femme courroucée furent inutiles, et il la laissa entrer dans sa chambre sans lui expliquer qu’elle était déjà occupée. Elle tomba lourdement sur son lit ; mais bientôt, après un moment de silence, le factionnaire entendit de nouveau la respiration bruyante du colporteur. On vint en ce moment relever la garde, et le factionnaire, toujours excessivement piqué de l’indifférence de son prisonnier, après avoir transmis sa consigne au dragon qui allait le remplacer, lui dit, en retournant au corps-de-garde :

— Tu peux te réchauffer les pieds en dansant, John. L’espion a accordé son violon ; ne l’entends-tu pas ? et avant qu’il soit longtemps Betty fera un duo avec lui.

Le caporal et les dragons qui l’accompagnaient répondirent à cette plaisanterie par de grands éclats de rire, et ils partirent pour continuer leur ronde. Quelques instants après la porte de la chambre s’ouvrit, et Betty en sortant reprit le chemin de la cuisine.

— Halte là ! s’écria le factionnaire en la retenant par la robe ; êtes-vous bien sûre que l’espion n’est pas caché dans vos poches ?

— Est-ce que vous ne l’entendez pas ronfler dans ma chambre, canaille que vous êtes ? s’écria Betty tremblant de rage. Et c’est ainsi que vous traitez une femme honnête ? Faire coucher un homme dans ma chambre, chien de vaurien !

— Bah ! bah ! dit le dragon ; le grand malheur ! un homme qui