Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/119

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sans épines. Aujourd’hui je n’avais presque rien à apprendre, je dirais rien, si chaque commandant n’avait pas sa manière à lui, à laquelle il convient que tous ses subordonnés se fassent le plus promptement possible. Et puis j’habitais l’arrière, où nous avions des nappes, des assiettes, des gobelets, en un mot toutes les douceurs de la vie autant qu’elles peuvent se trouver à bord d’un bâtiment marchand.

La Crisis mit en mer par une jolie brise sud-ouest. Il y avait une douzaine de bâtiments partant ensemble, et, entre autres, deux vaisseaux de guerre de la république, ci-devant bâtiments marchands, qui parurent disposés à lutter de vitesse avec nous. Nous passâmes la barre tous les trois, à une encâblure l’un de l’autre, et nous fîmes voile de conserve avec un vent de trois quarts largue. Au moment où Navesink disparut, nos deux vaisseaux halèrent la bouline, et se dirigèrent par bonds et par secousses vers les Indes occidentales. Nous avions déjà gagné sur eux une grande lieue. Cela nous mit en verve, et Marbre lui-même se monta la tête au point de donner comme son opinion que, si l’on venait à en faire l’épreuve, notre supériorité sur eux ne se bornerait pas à être meilleurs voiliers. Il est très-agréable de penser favorablement de soi-même ; mais il ne l’est pas moins d’avoir la même opinion de son bâtiment.

Je dois convenir que dans le premier moment j’éprouvai quelque embarras pour remplir mes fonctions d’officier. J’étais tout jeune, et je commandais des gens assez âgés pour être mon père, de véritables loups de mer, aussi difficiles pour ce qui avait rapport aux moindres détails du service, que le journaliste qui, incapable d’apprécier les beautés supérieures d’un ouvrage, s’évertue à faire ressortir les quelques taches qui peuvent s’y trouver. Mais quelques jours suffirent pour me donner de la confiance, et je vis bientôt que j’étais obéi aussi promptement que le premier lieutenant. Un coup de vent assaillit le bâtiment pendant mon quart, quinze jours environ après notre départ, et je parvins à carguer toutes les voiles avec un succès qui me fit beaucoup d’honneur sur l’arrière. Le capitaine Williams vint me féliciter à ce sujet, approuva les ordres que j’avais donnés, et me loua du sang-froid que j’avais montré. Je sus plus tard qu’il était resté quelque temps sur le bord de l’écoutille, empêchant les deux autres lieutenants de se montrer, pour voir comment, abandonné à moi-même, je me tirerais d’affaire. Jamais être humain ne s’évertua plus que Neb dans cette occasion. Il sentait qu’il y allait de mon honneur. Je crois vraiment qu’il fit le service d’au moins deux hommes pendant tout le temps du grain. Avant ce petit incident, le capitaine