Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/133

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pour avoir sa compagnie, mais pour lui donner de la considération aux yeux de l’équipage. À terre, quoique ayant peut-être moins de fortune, il aurait été regardé comme occupant une position tout à fait égale à la mienne.

Talcott et moi, nous restâmes sur le pont pendant presque toute la première nuit, et, si je pris quelques instants de repos, ce fut sur une bonnette de hunier qui était sur le gaillard d’arrière, et que j’avais renoncé à appareiller, après l’avoir fait préparer dans cette intention. Cependant le jour revint ; l’horizon était clair ; le vent n’avait pas augmenté ; rien n’était en vue ; je me sentis assez à l’aise pour faire un bon somme jusqu’à huit heures. Tout ce jour-là nous n’eûmes à faire travailler ni une amure, ni une écoute. Vers le soir, je montai à la girouette pour chercher la terre ; mais sans succès ; quoique je susse, d’après nos observations à midi, qu’elle ne pouvait être à une grande distance. Il y a cinquante ans, la longitude était la grande difficulté pour les navigateurs. Talcott et moi, nous savions bien, il est vrai, calculer d’après la distance de la Lune ; mais il n’y avait point d’observations à faire ; et même il est souvent facile de se tromper au milieu des courants et des marées. Aussi ne fus-je nullement fâché d’entendre Neb crier du haut de la vergue du petit hunier : un feu devant nous !

Il pouvait être dix heures. Je savais que ce feu devait être le cap Lézard, car nous étions trop à l’est pour la Sicile. La route fut changée de manière à mettre le feu par le bossoir du vent ; et j’attendis qu’il se montrât à nous sur le pont, avec une anxiété que depuis je n’ai éprouvée au même degré que dans les circonstances les plus critiques. Une demi-heure suffit, et je me sentis alors soulagé d’un grand poids. Un débutant lui-même n’a pas de peine à se tirer d’affaire avec un vent frais au sud-ouest et le phare du cap Lézard pleinement en vue sous son bossoir du vent, s’il se trouve avoir à entrer dans la Manche. Aussi cette nuit-là fut-elle pour moi beaucoup meilleure que la précédente.

Le lendemain matin, il n’y avait point de changement, si ce n’est dans la position du brig. Nous étions bien dans la Manche ; nous rangions la terre d’aussi près que la prudence le permettait, et nous pouvions nous assurer, par la vue des objets sur la côte, que nous allions de l’avant avec la plus grande vitesse. Nous passâmes à un mille de l’Eddy-stone, tant j’étais résolu à me tenir le plus éloigné possible des croiseurs français. Le lendemain matin nous étions par le travers de l’île de Wight ; mais le vent avait sauté au sud-est, et il était si faible que nous fûmes obligés de bouliner. L’Angleterre