Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions ensemble n’iraient pas plus loin. Il resta confondu. — D’abord, il était évident qu’à ses yeux, tout ce qui était marchandise n’était bon qu’à être pillé, et ensuite que piller était un tour yankee des plus vulgaires. Si j’avais été Anglais, il aurait peut-être compris ma conduite ; mais il était si habitué à regarder un Américain comme un fripon, que j’appris ensuite qu’il voulait que je fusse le fils illégitime de quelque négociant anglais, qui se faisait passer pour Américain ; c’était du moins ce qu’il avait dit à un recruteur de matelots. Je ne prétends pas expliquer cette contradiction, quoique j’aie souvent observé le même phénomène moral chez ses compatriotes ; mais enfin, voilà le fripon le plus fieffé qui eût jamais existé, qui affectait de croire que la friponnerie était indigène chez certaines nations, parmi lesquelles il avait soin de ne pas comprendre la sienne.

Enfin, j’eus le bonheur de voir la Crisis qui se glissait au milieu du labyrinthe de voiles, comme l’Amanda l’avait fait avant elle. Elle vint s’amarrer tout près de nous, et l’opération n’était pas encore terminée que Talcott, Neb et moi nous étions à bord. Le capitaine Williams avait lu dans les journaux le récit du tour yankee, il avait compris comment la chose avait dû se passer, et il nous fit l’accueil le plus favorable ; j’avoue que je n’avais jamais eu d’inquiétude à cet égard.

Nous fûmes tous charmés de nous revoir : le capitaine Williams était resté à Falmouth plus longtemps qu’il ne se l’était proposé, pour réparer quelques avaries, et voilà pourquoi je l’avais devancé. Maintenant que le bâtiment était entré, nous ne craignions plus d’être pris par la presse, car Sweeney aurait eu l’attention de mettre à nos trousses toute la bande des recruteurs. Je ne sais s’il croyait réellement que je fusse sujet anglais, mais je n’étais nullement tenté de voir décider la question devant un tribunal maritime. À tout prendre, la Cour du Banc du Roi me convenait beaucoup mieux.

Comme j’étais le seul officier du bâtiment qui eût déjà vu Londres, mon expérience de quinze jours m’avait singulièrement grandi aux jeux de l’équipage ; c’était comme un grade de plus que je venais d’acquérir. Marbre brûlait de voir la capitale de l’Angleterre, et il me fit promettre de lui servir de pilote, dès que nous serions libres, et de lui montrer tout ce que j’avais vu moi-même. Il nous fallut quinze jours pour débarquer la cargaison et prendre du lest ; les articles que nous comptions emporter pour trafiquer sur la côte étaient trop légers et trop peu nombreux pour remplir le bâtiment. Ensuite il fallut songer à compléter notre équipage : naturellement nous choisîmes de préférence des Américains, d’autant