Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/156

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et de tourmentes dans cette direction, et le bâtiment ira tout aussi bien le cap à l’est que le cap à l’ouest.

Pendant toute cette journée la Crisis eut les amures à tribord, labourant avec effort les lames furieuses ; à la chute du jour, elle vira de bord de nouveau, et mit le cap à l’ouest. Bien loin de tomber, le vent ne faisait qu’augmenter, et, vers le soir, nous jugeâmes nécessaire de serrer notre hunier et notre misaine. Le hunier avait été déjà tellement réduit, avec ses quatre ris, que le rouler devenait une tâche extrêmement délicate. Neb et moi, nous étions à l’œuvre ensemble, et jamais je ne me donnai plus de peine qu’en cette occasion. La voile de misaine aussi n’était pas une petite affaire, mais nous réussîmes à les ferler toutes deux sans encombre. Au coucher du soleil, lorsque la nuit vint ajouter encore à la tristesse de cette sombre journée, le petit foc se déralingua, avec un bruit qui fut entendu de tout le navire, et disparut dans la brume, comme un nuage qui se perd dans l’immensité des cieux. Quelques minutes après, on amena la voile d’artimon, pour l’empêcher de suivre la même route. La secousse que reçut le navire à cette occasion le fit trembler depuis la quille jusqu’au haut des mâts.

Pour la première fois, je fus alors témoin d’une tempête sur mer. J’avais vu plus d’une fois des coups de vent et d’assez violents ; mais il y avait autant de différence entre la force de l’ouragan, cette fois, et les coups de vent ordinaires, qu’il peut y en avoir entre ceux-ci et une forte brise. Les lames semblaient s’affaisser sous la pression du vent qui pesait sur la surface de l’Océan ; car, quand une montagne d’eau venait à se montrer, elle était brisée et fendue en écume, comme le bois qui vole en éclats sous la hache. Une heure après que le vent eut soufflé avec le plus de force, il n’y avait aucun gonflement considérable sur la surface de la mer, je dis considérable, car la profonde respiration de l’Océan n’est jamais entièrement interrompue, et le bâtiment était aussi ferme que s’il avait été à moitié hors de l’eau, bien que les bouts des vergues inférieures plongeassent presque dans la mer : position qu’elles conservèrent aussi constamment que si on l’eût recherchée à dessein. Quelques-uns d’entre nous furent obligés de monter pour rabanter les voiles jusqu’aux gambes de hune ; il eût été impossible d’aller plus haut. Lorsque je me hasardai à porter la main au dehors pour saisir quelque chose, j’observai qu’il fallait, en faisant ce mouvement, estimer la dérive précisément comme un canot qui navigue contre un courant. En montant, il était difficile de ne pas perdre pied sur les enfléchures, et, en descendant, il fallait de grands efforts pour conserver son centre de gravité. Je