Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/181

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mes dents, et serré assez étroitement pour qu’il me fût impossible d’appeler. Au même instant, mes bras furent saisis par derrière et serrés comme dans un étau. Me retournant, autant que je pouvais le faire, je reconnus que j’avais senti le souffle de l’Échalas, à un pouce de mon oreille, pendant qu’il me passait le bâillon, et que le Plongeur était occupé à me lier les mains derrière le dos ; le tout avait été fait si promptement et avec tant d’adresse, que je fus leur prisonnier, sans aucun espoir de salut, en moins d’un instant.

Il m’était aussi impossible de résister que d’appeler à mon secours. On me lia les pieds et les mains, et on me plaça avec précaution sur le vibord, dans un endroit un peu écarté. Je ne dus probablement la vie qu’au désir de l’Échalas de me garder comme esclave. Dès ce moment, les traits et les manières du drôle ne conservèrent plus aucune trace de leur stupidité apparente ; il devint l’esprit dirigeant, et je pourrais dire l’âme de tous les mouvements de ses compagnons. Quant à moi, j’étais assis, attaché à un des espars, dans l’impossibilité de rien faire pour me sauver. Témoin passif de tout ce qui se passait devant moi, je sentais toute la gravité de notre situation ; mais je crois que j’étais plus sensible encore à la honte d’avoir été victime d’une pareille surprise pendant mon quart, qu’aux dangers personnels que je pouvais courir.

Je fus désarmé tout d’abord. Le Plongeur prit alors une lanterne qui était sur l’habitacle, l’alluma, et la montra pendant une demi-minute au-dessus du couronnement. Il dut recevoir immédiatement réponse à son signal, car il éteignit bientôt la lumière, et se mit à se promener sur le pont, prêt à saisir tout rôdeur qui viendrait à s’y aventurer. Mais il y avait peu à craindre sous ce rapport, la fatigue attachant nos hommes à leurs lits aussi fortement que s’ils y avaient été enchaînés. Je m’attendais alors à voir ces misérables remplir le canot de nos effets et s’enfuir en les emportant ; car je ne pouvais croire que deux hommes eussent l’audace d’attaquer un équipage comme le nôtre.

J’avais compté sans mon hôte. Il s’était écoulé à peu près dix minutes depuis le moment où on s’était emparé de moi, quand des figures sinistres commencèrent à grimper sur le navire, et bientôt j’en comptai plus de trente. L’escalade fut faite avec si peu de bruit que, malgré l’attention la plus vigilante, je n’eus aucun soupçon de leur approche avant qu’ils fussent près de moi. Tous ces hommes étaient armés, un petit nombre avaient des fusils, d’autres des haches, d’autres enfin des arcs et des flèches. Autant que je le pouvais voir, chacun d’eux avait une espèce de couteau, et quel-