Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/183

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quand elle fut terminée, il remit ses hommes en embuscade. Je crus alors que les officiers et les matelots allaient être massacrés de la même manière, à mesure qu’ils paraîtraient sur le pont. C’était bientôt le moment où Marbre devait monter, bien que j’eusse l’espérance qu’il ne viendrait pas sans qu’on l’appelât, ce qu’il m’était impossible de faire dans la situation où je me trouvais ; mais je m’étais trompé. Au lieu d’attirer l’équipage sur le pont, les sauvages suivirent une tout autre marche. Après avoir tué le capitaine, ils fermèrent les panneaux de l’avant et prirent le parti plus sûr de faire prisonniers tous ceux qui se trouvaient dans l’intérieur du navire. Cela ne se fit pas tout à fait sans bruit, et l’alarme fut évidemment donnée par les précautions prises pour tout clore avec soin. J’entendis du bruit aux portes de la chambre, puis aux panneaux de l’avant. Mais l’Échalas avait pris toutes ses mesures pour que les efforts de l’un ou de l’autre côté fussent inutiles.

Dès qu’ils eurent enfermé leurs prisonniers, les sauvages vinrent à moi et relâchèrent les liens de mes bras de manière à me mettre plus à l’aise. Ils détachèrent entièrement ceux que j’avais aux pieds, et m’ôtèrent aussi le bâillon de la bouche. Je fus alors conduit au dôme de l’échelle de l’arrière, et on me fit entendre par signes que je pouvais communiquer avec mes compagnons qui étaient en bas. C’était l’Échalas (ce vieillard ressemblait à un grossier animal plutôt qu’à une créature humaine) qui dirigeait toutes ces mesures. Je conclus de là que ma vie était épargnée, pour le moment du moins, et pour quelque but qu’il m’était jusqu’à présent impossible de deviner. Je n’appelai pas tout de suite ; mais dès que j’entendis quelque mouvement au pied de l’échelle, j’obéis aux ordres de mes maîtres.

— Monsieur Marbre, criai-je d’une voix assez forte pour être entendu d’en bas, est-ce vous ?

— Oui, oui ; et est-ce vous, maître Miles ?

— C’est bien moi. Faites attention à votre conduite, monsieur Marbre. Les sauvages sont maîtres du pont, et je suis leur prisonnier. Ils sont là tous, et ils ont établi un poste assez fort aux panneaux de l’avant.

J’entendis à l’intérieur un sifflement faible et prolongé, qu’il était facile d’interpréter comme l’expression de l’inquiétude et de l’étonnement du premier lieutenant. Pour moi, je ne voyais aucun motif pour essayer de dissimuler, et j’étais d’ailleurs résolu à parler ouvertement, au risque de révéler quelques-uns de mes sentiments à mes maîtres, parmi lesquels il était probable que plus d’un comprenait un peu l’anglais.