Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/193

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pouvoir les tenir exposés au feu des fenêtres de la chambre, et de leur échapper en m’éloignant de la terre à une distance qu’ils ne pourraient franchir. Cependant je savais que le Plongeur était un drôle plein d’audace, qu’il entendait quelque chose aux bâtiments, et je résolus de recommander à Marbre de ne point le manquer, s’il venait à se trouver à portée de son mousquet.

Pendant ce temps les alarmes et l’impatience de l’Échalas et de ses compagnons augmentaient sensiblement. Cinq minutes étaient un siècle dans la position où nous étions, et je vis qu’il serait bientôt nécessaire d’adopter quelque nouvel expédient, si je ne voulais pas être victime du ressentiment de ces sauvages. Rien n’aiguise l’esprit comme la nécessité, et il me vint une idée qui me parut assez ingénieuse. Quoi qu’il en soit, je dus la vie à la conviction où étaient les sauvages qu’ils ne pouvaient se passer de moi.

L’Échalas, avec trois ou quatre des plus farouches de ses compagnons, avait recommencé à me menacer avec son couteau, me faisant signe en même temps de tourner le cap du navire vers la terre. Je demandai un peu de place, et je traçai alors un long cercle sur le pont, en montrant les quatre voiles que nous avions établies, de manière à leur dire qu’avec cette voilure, il fallait aller à une grande distance pour pouvoir virer. Quand j’eus réussi à leur communiquer cette idée, j’entrepris sur-le-champ de leur faire entendre qu’en guindant les mâts de hune, et en faisant plus de voile, nous pourrions revenir immédiatement sur nos pas. Les sauvages me comprirent, et l’explication leur paraissant raisonnable, ils se retirèrent à l’écart pour se consulter. Comme le temps pressait, l’Échalas revint presque aussitôt en me faisant signe de leur montrer comment il fallait s’y prendre pour mettre dehors le reste des voiles. On juge bien que je ne me fis pas prier pour le leur apprendre.

En quelques minutes un palan d’amure avait été dressé, et un groupe de sauvages se cramponnait après la guinderesse. Comme tout était prêt, nous n’eûmes qu’à haler jusqu’au moment où, jugeant à l’œil que le mât était à la hauteur convenable, je grimpai aux agrès, et mis la clef en place. Débarrassé du mât de hune, sans toucher à rien de ses agrès, je descendis sur la vergue de misaine et détachai la voile. Cela paraissait si bien en harmonie avec le reste, que les sauvages poussèrent des cris de joie ; et lorsque je reparus sur le pont, ils m’auraient volontiers porté en triomphe. L’Échalas lui-même en fut complètement dupe, et quand je mis les autres à l’œuvre au garant de drisse pour hisser la vergue, il se montra le plus actif. La vergue fut bientôt en place, et je montai pour l’assu-