Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/206

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d’occuper. On ne saurait croire à quel point l’intérêt aiguise l’esprit des gens même les plus obtus !

J’avoue que, malgré mes dix-neuf ans, j’étais d’une opinion contraire à celle du capitaine. Je voyais bien que le cas prévu par les instructions n’était pas arrivé, et que nous agirions d’une manière plus conforme aux intentions des armateurs, en nous rendant d’abord aux îles Sandwich pour y chercher du bois de sandal, et ensuite en Chine pour y prendre une cargaison de thé. Marbre n’était pas homme à se laisser convaincre, quoique mes arguments parussent l’avoir un peu ébranlé. Il serait difficile de dire quel eût été le résultat, si l’événement ne se fût pas chargé de nous mettre d’accord. Je dois dire en passant que Marbre profita de cette occasion pour élever Talcott au grade de troisième officier ; promotion qui me fit grand plaisir ; car Talcott avait reçu de l’éducation ; il était à peu près de mon âge, il avait été le compagnon de nos exploits dans l’affaire de la prise, et c’était un bonheur pour moi de le voir passer sur le gaillard d’arrière et de l’entendre appeler du nom de monsieur Talcott.

Notre traversée jusqu’aux îles Sandwich fut longue, mais paisible. Ce groupe d’îles occupait, en 1800, dans l’opinion du monde une place bien différente de celle qu’il occupe aujourd’hui. Cependant les habitants avaient fait quelques progrès en civilisation depuis le temps de Cook. J’entends dire qu’à présent il y a dans ces îles des églises, des tavernes, des billards et des maisons en pierre ; qu’elles tournent rapidement à la religion chrétienne, et qu’elles arrivent à ce milieu de sécurité, de bien-être, de vices, de friponnerie légale, qu’on est convenu d’appeler civilisation. C’était tout autre chose alors, les hommes qui nous reçurent n’étant guère que des sauvages. Toutefois, parmi ceux qui vinrent les premiers à bord, se trouvait le patron d’un brig de Boston, dont le bâtiment avait donné contre un récif et s’était crevé. Il comptait rester près du brig naufragé, mais il désirait céder une partie considérable de bois de sandal qui était encore à bord, et que le premier coup de vent pouvait disperser. S’il pouvait se procurer une nouvelle provision de marchandises pour continuer son trafic, il se proposait de rester au milieu des îles jusqu’à l’arrivée d’un autre bâtiment appartenant aux mêmes armateurs, qui le prendrait à bord avec tout ce qu’il aurait pu sauver du naufrage, et le nouveau bois qu’il se serait procuré dans l’intervalle. Le capitaine Marbre se frotta les mains de joie en revenant après avoir conclu son marché.

— Nous sommes en veine de bonheur, maître Miles, me dit-il, et la semaine prochaine nous serons en route pour aller à la pêche des perles. J’ai acheté tout le bois de sandal qui se trouve sur le bâti-