Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/257

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tout d’abord dans un de ces courants infernaux du pauvre capitaine Robbins, et depuis ce moment je n’ai pas cessé d’être ballotté au gré du vent. — On n’avait pas même eu la pudeur de griffonner un nom sur un chiffon de papier, et de l’attacher sur le panier ; il eût suffi d’ouvrir le premier roman pour en trouver un ; mais non, on m’a jeté sur cette pierre tumulaire, en m’isolant de tout ce qui pouvait me rattacher à l’humanité, et en me laissant généraliser sur la vie tant que je voudrais !

— Et le tailleur de pierre vous trouva le lendemain matin ?

— Vous parlez comme un oracle. Voyant le panier dans lequel il avait apporté son dîner la veille, et qu’il avait oublié d’emporter, il le secoua pour en faire tomber les restes, avant de le passer à l’enfant qui devait s’en charger, et je roulai sur la pierre froide.

— Pauvre enfant ! et que fit-on de vous ?

— On m’envoya à la Maison de Charité, les tailleurs de pierre ayant naturellement le cœur dur, à ce que je suppose. Sans doute mon père faisait aussi ce métier-là, à en juger par sa conduite. Quoi qu’il en soit, je fus inscrit sur les registres sous le n° 19 ; ce fut le nom que je portai pendant huit jours ; au bout de ce temps, je devins Moïse Marbre.

— Singulier choix que firent là vos parrains !

— Comment donc ? Moïse, m’a-t-on dit, est tiré de l’Écriture ; il y est question de quelqu’un de ce nom, qui fut jeté comme moi à la dérive.

— Oui, pour ce qui est du panier et de l’abandon, l’histoire est la même. Mais du moins on avait mis le panier à flot, au lieu de le jeter sur une pierre tumulaire, comme pour lui faire entrevoir la tombe dès le berceau.

— Ma foi, peu s’en fallut que Pierre de Tombeau ne devînt mon nom ; mais, par réflexion, on le trouva trop lugubre. On voulut ensuite me donner le nom de la personne à qui la pierre était destinée ; mais elle s’appelait Zollickoffer, et l’on pensa que je ne viendrais jamais à bout de le prononcer. Enfin, on m’appela Marbre, nom solide du moins, à défaut d’autre mérite.

— Êtes-vous resté longtemps dans la Maison de Charité, et à quel âge a commencé votre carrière de marin ?

— À huit ans, je levai l’ancre et je dis adieu à la maison hospitalière. À cette époque, notre pays appartenait aux Anglais, ou du moins il était traité comme s’il leur eût appartenu ; car j’ai entendu dire à de plus savants que moi qu’il était toujours à nous, le roi d’Angleterre se trouvant seulement être notre roi ; mais j’étais né sujet de