Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/269

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brave et noble navire comme la Crisis, avec un équipage de quarante homme pour la défendre !

— Allons, Marbre, vous avez trop de bon sens pour raisonner ainsi ; heureusement il n’est pas trop tard pour revenir sur vos pas, et j’aurai soin de donner à entendre que vous ne l’avez fait que par amitié pour moi.

Ce fut le commencement d’un dernier effort de ma part pour décider mon ami à renoncer à son projet insensé. Je parlai pendant une heure, et je ne cessai que quand je fus court d’haleine et à bout d’arguments. Je revins sur cette idée de l’isolement où il se trouverait en cas de maladie ; mais c’était une raison peu concluante pour un homme qui ne savait pas même ce que c’était qu’un mal de tête ; quant à la société, il la fuyait quand il était à terre, il s’en vantait même, et il ne pouvait encore apprécier les effets d’une entière solitude. Une ou deux fois il laissa échapper l’idée que je pourrais peut-être revenir un jour, mais plutôt d’un ton de plaisanterie qu’avec une intention sérieuse. Il semblait parfois éprouver quelques vagues appréhensions ; mais je ne pus néanmoins lui arracher aucune concession. Je finis par le prévenir que la Crisis mettrait définitivement à la voile le lendemain, les intérêts des armateurs pouvant se trouver compromis par un plus long délai.

— Je le sais, Miles, répondit Marbre, et brisons là. Tout est prêt, et voici Neb qui vient vous annoncer que le canot vous attend. Je vais faire mon apprentissage et passer ma première nuit seul dans mon île. Demain matin, je suppose que vous aimerez à venir donner une dernière poignée de main à un vieux camarade, et naturellement vous me chercherez sur le bord de la mer. Bonne nuit ! mais avant de nous quitter, j’ai à vous remercier de la provision de vêtements que je vois que vous avez fait mettre dans ma cabane. J’en avais à peine besoin ; car j’ai des aiguilles et du fil à monter une boutique de mercier, et la vieille toile laissée par les Français m’assure des vestes et des pantalons pour le reste de mes jours. Bonne nuit, mon cher enfant. Dieu vous bénisse ! Dieu vous bénisse !

Il faisait presque nuit ; mais je pus voir que les yeux de Marbre étaient humides, et je sentis que sa main tremblait encore. Je le quittai, ayant encore un faible espoir que cette nuit de solitude, la première où il serait complètement abandonné à lui-même, pourrait diminuer son désir de se faire ermite. Dès que je fus à bord, j’annonçai que l’équipage devait se rassembler au point du jour, et qu’aussitôt nous lèverions l’ancre.

Talcott vint m’appeler au moment indiqué. Je l’avais nommé pre-