Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/273

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nous quittâmes après nous être promis mutuellement de ne point partir sans nous être revus. Je n’eus pas de peine à placer le bois de sandal et les peaux, ni à me procurer les thés, les nankins et les porcelaines indiqués dans les instructions données au capitaine Williams. Je profitai aussi de l’occasion pour faire personnellement quelques emplettes, qui me semblaient de nature à faire plaisir à la future maîtresse de Clawbonny, quelle qu’elle pût être. Je ne pouvais faire un meilleur emploi de mes économies, d’autant plus que mes instructions m’y autorisaient.

En un mot, les six ou huit semaines que je passai à Canton furent d’un grand avantage pour ceux qui avaient un intérêt dans la Crisis. Je vendis ma cargaison à des prix très-avantageux, et les denrées que j’achetai en échange se trouvaient être au contraire à très-bas prix. En cela je n’avais aucun mérite, et pourtant on m’en sut un gré infini ; tant il est vrai que dans le commerce, comme dans la guerre, le bonheur est pour beaucoup. Néanmoins il est certain que je me donnai beaucoup de mal ; car je sentais toute la responsabilité qui, pour la première fois, pesait sur moi. Aussi éprouvai-je un véritable soulagement quand les écoutilles furent enfin fermées et que le bâtiment fut prêt à mettre à la voile.

C’était alors un devoir pour moi, aussi bien qu’un plaisir, d’aller rendre visite au major Merton que je n’avais vu qu’une ou deux fois depuis deux mois. Il avait passé tout ce temps à Wampoa, tandis que j’étais toujours ou dans les factoreries ou à bord. Le major était occupé au moment où j’arrivai, et Émilie me reçut seule. Quand elle apprit que j’allais partir, et que je venais prendre congé d’elle, elle parut éprouver un sentiment pénible. J’étais ému de mon côté ; seulement j’éprouvai moins de scrupule à lui exprimer mes regrets.

— Dieu seul sait, miss Merton, ajoutai-je après les premières explications, quand il nous sera permis de nous revoir.

Le lecteur se rappellera qu’aujourd’hui je suis un vieillard, et que la vanité n’a plus de prise sur moi ; que je suis donc historien aussi impartial des faits que le permettent quelques derniers restes de faiblesse humaine. Émilie tressaillit quand je fis allusion à la durée probable de notre séparation, et elle devint toute pâle. Sa jolie petite main tremblait tout en tenant son aiguille, et elle semblait livrée à une agitation que je ne l’avais pas encore vue éprouver au même point, elle qui d’ordinaire était si calme et si maîtresse d’elle-même. Je sais maintenant pourquoi je ne me jetai pas à ses pieds pour la supplier de m’accompagner aux États-Unis, quoique, lorsque je me suis mis à réfléchir froidement à tout ce qui s’était passé, j’aie été