Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/283

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la mode. Je ne suis jamais revenu d’un voyage, surtout d’un voyage en Europe, sans être frappé de deux choses à New-York : l’aspect provincial de la ville en général, et la beauté des jeunes personnes j’entends de celles qui font partie réelle, intégrante, naturelle, de la population, et non de ces essaims nombreux que nous envoient l’Irlande et l’Allemagne, et qui encombrent aujourd’hui nos rues ; mais un Américain reconnaît un compatriote, homme ou femme, au premier coup d’œil. Comme il y avait beaucoup d’enfants qui faisaient leur promenade du soir, et que la plupart des servantes étaient alors des négresses, Neb eut sa part de délices, et toutes les fois qu’il passait devant une de ces Vénus cuivrées, il faisait claquer ses doigts avec un ravissement qui était partagé par l’objet de son admiration, comme il était facile de le voir à la manière dont elle se rengorgeait aussitôt en passant devant lui.

Pendant que de mon côté je passais en revue une foule de figures charmantes, j’oubliai les affaires qui m’appelaient. Neb ni moi nous n’étions pressés ; nous nous promenions tranquillement, regardant à droite et à gauche, quand une société qui passa près de nous sous les arbres, absorba toute mon attention. En avant marchaient un jeune homme et une demoiselle, mis simplement, mais avec goût. Le jeune homme n’avait rien de remarquable qu’une vivacité pétulante qui se manifestait par les gestes dont il accompagnait sa conversation avec sa compagne, qui semblait y prendre goût. Celle-ci avait un charme dans toute sa personne qui me frappa vivement ; c’était une démarche si naturelle, et en même temps si pleine de légèreté et de grâce, un air si complet de bonheur et de santé, une tournure si distinguée, que je brûlais de voir de plus près une créature si charmante. Je ne pouvais entendre ce que son cavalier lui disait, mais je construisis sur-le-champ mon roman, et je me dis que ce devaient être deux fiancés pour qui tous les rapports de fortune et de convenances se trouvaient réunis. Neb avait cessé de s’occuper de ses beautés moricaudes et il n’avait des yeux que pour la belle inconnue.

Je me sentais en quelque sorte fasciné par cette gracieuse apparition, et je cherchais à surprendre l’expression de son regard qui s’était dirigé vers moi, lorsque j’entendis ce seul mot prononcé d’une voix et d’un ton qui me fit tressaillir de tous mes membres :

— Miles !

Il n’y avait plus à s’y méprendre : c’était bien Lucie Hardinge qui était devant moi, tremblante, incertaine, la figure tantôt pâle comme la mort, tantôt d’un rouge pourpre, les mains serrées l’une contre