Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/285

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Les ministres étaient beaucoup plus respectés aux États-Unis il y a quarante ans qu’ils ne le sont aujourd’hui, quoiqu’ils le soient encore plus parmi nous que dans la plupart des autres pays. J’eus besoin pour me remettre d’aller échanger une poignée de main amicale, mais moins sentimentale, avec Rupert. Quant à M. Drewett, il attendit assez longtemps pour demander à Lucie qui j’étais, et j’entendis le petit dialogue qui s’établit entre eux à cette occasion.

— C’est un ami intime, sinon un proche parent, miss Hardinge ?

— C’est tous les deux, répondit la jeune fille, moitié riant, moitié pleurant, avec son expansion ordinaire.

— Oserais-je demander son nom ?

— Son nom, monsieur Drewett ! mais c’est Miles, notre cher Miles ! Vous nous avez entendus parler de Miles ? — Mais j’oubliais que vous n’avez jamais été à Clawbonny. — N’est-ce pas une charmante surprise, ma bonne Grace ?

M. André Drewett attendit avec une patience qui me parut vraiment stoïque que Grace eût serré la main de Lucie, et lui eût exprimé son bonheur, pour reprendre la parole, et ce fut en ces termes qu’il se hasarda à le faire :

— Vous alliez dire quelque chose, miss Hardinge ?

— Moi ? mais en vérité, je ne me rappelle pas. — La surprise, la joie, — pardon, monsieur Drewett. — Ah ! je me souviens à présent. J’allais dire que c’est M. Miles Wallingford de Clawbonny, le pupille de mon père, — vous savez bien, le frère de Grace ?

— Puis-je demander à quel degré il est parent de M. Hardinge ? demanda le persévérant questionneur.

— Oh ! à un très-proche degré. — Attendez ; mais où ai-je donc la tête ce soir ? Il ne l’est pas du tout.

M. Drewett eut assez de tact pour comprendre qu’il était temps de se retirer, et il nous fit un salut si étudié, si plein de politesse, que vraiment je regrettai de n’avoir pas le loisir de l’admirer. Son départ ne parut pas faire beaucoup de sensation dans notre petit cercle, et nous allâmes nous asseoir tous les cinq sur un banc dans une allée plus solitaire. Tout entiers au bonheur de nous retrouver les uns avec les autres, nous étions aussi étrangers à ce qui se passait autour de nous que si nous avions été assis sur le banc rustique au pied du vieil ormeau, sur la pelouse de Clawbonny. J’étais assis entre M. Hardinge et Grace, Lucie auprès de son père, et Rupert auprès de ma sœur. Mon ami pouvait me voir sans peine à cause de sa taille, mais Lucie, le coude appuyé sur les genoux de son père, se penchait pour écouter en nous regardant.