Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/302

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croit pas que j’aie voulu la tromper sur ma position véritable, en me faisant passer à ses yeux pour un plus grand personnage que je n’étais réellement ?

— Je n’en répondrais pas. La première fois qu’elle m’en parla, elle avait sur Clawbonny et sur votre domaine, des idées tout à fait anglaises, vous savez bien. Or, en Angleterre, un domaine donne une grande considération à celui qui le possède, tandis que la terre est si abondante chez nous que nous ne faisons pas attention à l’homme qui se trouve en posséder un peu. Les effets publics, pouvant se réaliser plus facilement, valent chez nous mieux que la terre, vous savez bien.

— Rien n’était plus vrai il y a dix ans ; le propriétaire de plusieurs milliers d’acres de terre était, sous le régime du papier-monnaie, un personnage moins important que le propriétaire d’une poignée de chiffons de papier, dont la valeur a été s’amincissant de plus en plus ; c’était vraiment une époque où la valeur représentative de la propriété avait plus d’importance que la propriété même ; et cela parce que le pays tout entier était dévoré d’une fièvre qui mettait tout en mouvement. Je crains bien que ce temps ne revienne.

— Mais qu’est-ce que miss Merton a de commun avec tout cela ?

— Miss Merton est anglaise, mon cher, et, entendant parler de vos terres, elle s’était fait des idées exagérées ; mais j’ai tout expliqué ; ainsi, soyez tranquille.

— Ah ! vous avez tout expliqué ? Je voudrais bien savoir comment ?

Rupert retira le cigare qu’il avait à la bouche, laissa s’évaporer la fumée par petites bouffées, leva le nez en l’air comme pour observer les astres, et daigna enfin me répondre. Ces fumeurs ont parfois des manières si dédaigneuses et si ultra philosophiques !

— Comment ? le voici, mon très-cher. Je lui ai dit que Clawbonny était une ferme et non un domaine ; c’était assez clair pour commencer, n’est-ce pas ? Ensuite je lui ai appris le degré de considération dont jouissaient les fermiers chez nous. Émilie est une fille d’esprit, et elle comprend à demi-mot.

— Et miss Merton a-t-elle rien dit qui pût faire croire que ces explications me faisaient perdre dans son esprit ?

— En aucune façon. Elle vous estime étonnamment ; elle vous adore pour un marin ; elle vous regarde comme le Nelson, le Blake ou le Truxton de la marine marchande ; mais, après cela, toutes les jeunes personnes regardent de très-près à la profession, vous savez bien.