Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/340

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piques, je crois que c’est aussi celle des coups de vent. Il est vrai que ces coups de vent ne reviennent pas annuellement ; mais, quand ils sévissent sur les mers, c’est toujours dans les mois de juillet, d’août ou de septembre.

Le vent commença à souffler du sud-ouest pendant plusieurs heures, nous faisant fuir devant lui à raison de onze nœuds. Comme la mer s’éleva, et que notre voilure fut encore réduite, notre marche se ralentit peut-être un peu ; mais nous n’avions pas fait moins de cent milles dans les dix premières heures ; le temps était clair, doux, sans nuage, et il n’y avait rien de désagréable à sentir les rapides courants d’air qui passaient sur nos têtes en tourbillonnant. Au coucher du soleil, l’aspect de l’horizon ne me plut pas, et nous ne laissâmes que les trois huniers avec un ris pris, la misaine et le petit foc. C’était une faible voilure, pour un bâtiment qui avait le vent presque au-dessous de ses lisses de couronnement. À neuf heures, on prit les seconds ris, et à dix, on serra le perroquet de fougue. Je descendis alors dans la chambre, regardant le navire comme en sûreté, et recommandant aux lieutenants de diminuer encore de voiles, si le bâtiment leur paraissait tourmenté par les lames ou la mâture en danger, et de m’appeler à la moindre alerte. On me laissa tranquille toute la nuit, mais le matin Talcott vint me mettre la main sur l’épaule en me disant : Vous ferez bien de monter, commandant, nous avons un grain, et je voudrais avoir votre avis.

C’était un grain, en effet, et des plus violents. Quand j’arrivai sur le pont, l’Aurore n’avait que la misaine, et le petit hunier avec tous ses ris pris, voilure qu’on peut porter longtemps, quand on court devant le temps, mais qui était beaucoup trop pour nous dans la circonstance. Je donnai sur-le-champ l’ordre de serrer le hunier. Malgré le peu de surface qui était exposé, la prise offerte par ce peu de toile, dès que les cargues-points furent mollis assez pour lui donner du jeu, ébranlèrent jusqu’à la quille du navire. Ce fut un miracle que le mât résista, et que nous pûmes rouler la toile ; je crus un moment que nous ne pourrions la détacher de la vergue qu’en la coupant. Heureusement le temps était clair et serein, comme le jour précédent.

Les matelots qui étaient dans les mâts firent plusieurs tentatives pour héler le pont, mais le vent soufflait avec trop de force pour qu’ils pussent se faire entendre. Talcott était monté lui-même sur la vergue, et je le voyais gesticuler, comme pour montrer qu’il voyait quelque chose à l’avant. Les vagues s’élevaient si haut qu’elles nous masquaient l’horizon ; mais en montant dans les agrès de l’artimon,