Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/382

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mier sur la liste qui serait libre. J’avais gagné dix mille dollars dans mes dernières courses, et je ne pouvais mieux les employer qu’à entourer ma sœur des avis et des soins les plus éclairés.

Je fus sur le point d’écrire à Lucie, mais j’hésitai. Je savais que je n’avais qu’à lui dire un mot pour qu’elle accourût à Clawbonny. Malgré tout, je ne pouvais douter de son tendre attachement pour notre famille. Quand même elle me préférerait André Drewett, ce n’était pas une raison pour qu’elle fût moins bonne, moins compatissante, moins dévouée à ma sœur. Mais, enfin, c’était la sœur de Rupert ; était-ce bien la personne, à ce titre, que Grace devait désirer voir à son chevet ? Je résolus de m’en assurer avant d’aller plus loin.

Neb fut appelé, et il reçut l’ordre d’aller dire qu’on tînt le Wallingford prêt à mettre à la voile au premier moment. Le sloop ne devait aller que sur son lest, et revenir immédiatement à Clawbonny. Il y avait un médecin célèbre, mais n’exerçant plus, nommé Bard, qui avait une maison de campagne sur l’autre rive de l’Hudson. Je le connaissais de réputation. Je lui écrivis en faisant appel à tous les bons sentiments de son cœur, et je fis partir Neb sur la Grace et Lucie pour lui porter mon message. À peine avais-je terminé ces arrangements, que Chloé vint me dire que ma sœur me demandait.

Je trouvai Grace toujours étendue sur son lit, mais plus forte et évidemment reposée. Pendant un moment, je commençai à croire que mes craintes avaient exagéré le danger, et que je ne perdrais pas ma sœur. Mais quelques minutes d’observation attentive me convainquirent que la première impression était la vraie. Il y avait six mois que ma pauvre sœur renfermait ses souffrances dans son sein, vivant à la campagne, presque toujours seule ; et c’est plus que les constitutions les plus robustes ne peuvent supporter. Cet état de concentration continuelle mine sourdement la santé, et la source de la vie se trouve bientôt tarie. Il eût été difficile de caractériser l’état de Grace ; ce n’était pas une maladie proprement dite, c’était ce que les Français expriment si bien par le mot de fatigue. Il semblait que c’était la force qui lui manquait, et que cette frêle constitution allait se dissoudre d’elle-même.

Grace, sans lever la tête, me demanda le récit de mon dernier voyage. Elle parut y prendre un intérêt réel. Le plus doux sourire anima sa figure lorsque je lui racontai mes prouesses, et les aventures de Marbre parurent aussi la distraire agréablement. J’en fus charmé, en ce que j’entrevoyais le moyen de faire quelque diversion à ses peines, en rappelant son attention sur les incidents ordinaires de la