Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/385

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était significatif : Lucie savait donc bien pourquoi Grace s’était retirée à Clawbonny.

Et le nom de Miles Wallingford s’y trouvait-il ? pourra demander quelqu’une de mes belles lectrices. Je parcourus avec soin toutes les lettres, et je n’en vis que deux où il ne fût pas question de moi ; encore, en les examinant avec plus d’attention, découvris-je à chacune d’elles un post-scriptum. Le premier disait : — Je vois par les journaux que Miles est parti pour Malte et qu’il a enfin quitté ces vilains Turcs ; tant mieux : on n’aimerait pas à savoir l’excellent garçon enfermé dans les Sept-Tours, quelque honorable que cela puisse paraître. — L’autre était ainsi conçu : — Le cher Miles est allé à Livourne, me dit mon père, et il doit revenir cet été. Quel bonheur ce sera pour vous de le revoir, ma bonne Grace ! je n’ai pas besoin de vous dire que personne n’y prendra plus de part que mon père et moi.

On lisait donc avec soin les journaux apportés par les divers bâtiments qui arrivaient de toutes les parties du monde, pour se tenir ainsi au courant de tous mes mouvements ! C’était sans doute pour faire plaisir à Grace et pour lui transmettre fidèlement les renseignements qu’on obtenait de cette manière ; en y réfléchissant bien, il n’y avait rien là que de simple et de naturel, et ma vanité n’avait guère à s’en applaudir. Le nom d’André Drewett revenait aussi fréquemment, mais presque toujours accouplé à celui de sa mère, qui s’était évidemment constituée le chaperon régulier de Lucie, surtout pendant le temps du grand deuil. Je lus plusieurs de ces passages avec l’attention la plus scrupuleuse, pour tâcher de découvrir sous quelle impression ils avaient été écrits ; mais l’art le plus scrupuleux n’aurait pas mieux réussi à cacher un secret de ce genre que la simplicité naïve de Lucie. C’est ce qui arrive souvent : l’homme le plus droit et le plus franc est souvent le plus incompris dans ce siècle de perversité, de calcul et d’égoïsme ; l’honnête homme est un paradoxe continuel pour le fripon ; et voilà pourquoi on attribue si souvent les motifs les plus extravagants aux actions les plus simples et les plus naturelles.

Le résultat de toutes ces réflexions fut d’écrire à Lucie pour l’engager à venir à Clawbonny ; sans l’alarmer trop, j’en disais assez pour me croire sûr qu’elle partirait à la réception de ma lettre. Il m’en coûtait de paraître vouloir ainsi l’arracher à la société d’un rival ; mais comment pouvais-je donner ce nom à un homme qui s’était déclaré ouvertement, tandis que je n’avais jamais laissé échapper un mot qui pût faire soupçonner le véritable état de mon cœur ? D’ail-