Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien que j’eusse insisté pour vous voir quitter la mer. Lucie a le cœur trop tendre pour être toujours dans l’angoisse pour son mari absent. Je m’étonne que l’idée ne m’en soit pas venue avant qu’il fût trop tard. Un homme habitué comme moi à observer tout ce qui se passe autour de lui, n’avoir pas vu cela !

Les mots « trop tard » résonnèrent à mes oreilles comme l’arrêt du destin ; et si mon vieil ami avait eu le quart du talent d’observation dont il se vantait, il n’eût pas manqué de remarquer mon agitation ; néanmoins je m’étais trop avancé pour ne pas savoir définitivement à quoi m’en tenir, quoi qu’il dût m’en coûter.

— Je suppose, Monsieur, que c’est précisément cette circonstance d’avoir été élevés ensemble qui nous a empêchés tous de regarder la chose comme possible. Mais pourquoi dites-vous qu’il est trop tard, mon excellent tuteur, si nous, qui sommes les parties intéressées, nous nous trouvions être d’un avis contraire ?

— Oh ! dans ce cas, rien de plus juste ; mais je crains, Miles, que ce ne soit trop tard pour Lucie.

— Pensez-vous que miss Hardinge ne soit plus libre et que son cœur soit engagé à M. Drewett ?

— Ce dont je suis certain, mon garçon, c’est que Lucie ne donnera jamais sa main qu’avec son cœur. Quant au fait en lui-même, je n’ai pas de preuve positive ; mais je crois qu’un attachement mutuel existe entre elle et André Drewett.

— Et sur quel fondement, Monsieur ? car Lucie n’est point coquette, et elle n’est point d’un caractère à donner le moindre encouragement à celui qu’elle ne serait point décidée à accepter.

— Je puis vous parler comme à un fils. Comme je vois que Drewett continue ses visites, qu’il est aussi attentif qu’on peut l’être auprès d’une jeune fille aussi scrupuleuse que Lucie sur les convenances, j’en conclus qu’ils sont d’accord. J’ai été plusieurs fois sur le point d’en parler à Lucie, mais comme je veux lui laisser une entière liberté, et qu’au surplus cette alliance n’a rien que de très-sortable, je laisse aller les choses. Une circonstance qui me paraît décisive, Miles, c’est que j’ai remarqué qu’elle évite toutes les occasions de se trouver seule avec André, soit dans nos excursions champêtres, soit même ici à la maison.

— Et vous y voyez une preuve d’attachement ?

— Une preuve décisive à mes yeux. Mais que vous importe, Miles ? Après tout, il ne manque pas de jeunes filles dans le monde.

— Oui, mais il n’y a qu’une Lucie Hardinge ! m’écriai-je avec une ardeur qui en disait bien plus que mes paroles.