Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/396

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— Comment, Lucie ? expliquez-vous ; point de réticence entre nous.

La main de Lucie était sur mon bras, et elle avait ôté son gant à cause de la chaleur. Je sentis une douce pression, pendant qu’elle ajoutait : — Vous devez avoir, vous avez trop d’affection et de reconnaissance pour mon père, trop d’estime pour moi, pour oublier jamais que Rupert et vous, vous avez vécu en frères.

— Grace a déjà ma parole à ce sujet ; je ne me conduirai pas avec lui, dans cette affaire, suivant les principes du monde.

Lucie poussa un long soupir, comme si elle reprenait haleine, et je vis ses yeux fixés sur les miens avec une expression ineffable de gratitude.

— C’est tout ce que je demande, tout ce que je puis désirer, Miles ; et je vous remercie de m’avoir tranquillisée sur ce point. Maintenant, je suis prête à vous parler franchement ; néanmoins, si j’avais vu Grace…

— Ne craignez point de trahir son secret ; je sais tout. Oui, c’est cet amour déçu pour Rupert qui l’a réduite à l’état où elle est. Si nous avions été ici l’un ou l’autre, peut-être le mal n’aurait-il pas fait autant de progrès.

— Il y a longtemps que je redoutais ce malheur, reprit Lucie d’un ton lent et mesuré. Je crois que vous ne connaissez pas Grace aussi bien que moi. Toutes les impressions qu’elle reçoit, toutes les sensations qu’elle éprouve réagissent sur cette organisation si délicate ; notre présence n’y eût rien fait, je le crains bien. C’est une épreuve terrible, et il n’est pas impossible qu’à force de tendresse et de soins nous parvenions à l’en faire sortir heureusement. Maintenant que nous avons un médecin habile, il faut nous ouvrir à lui, et ne lui rien cacher.

— Je voulais vous consulter à ce sujet. Il est si pénible d’exposer au grand jour les pensées les plus intimes de Grace !

— Il n’est pas nécessaire d’aller jusque là peut-être ; mais ce qu’il faut que le docteur sache, c’est que le cœur est le siège de la maladie, et que c’est lui qu’il faut songer à guérir. — Mais, Miles, ne parlons plus de cela. J’ai besoin de me recueillir un peu avant de voir Grace. Maintenant que nous nous retrouvons à Clawbonny, notre ancienne intimité ne peut tarder à renaître.

Ces paroles furent dites avec tant de douceur que j’aurais baisé la trace de ses pas, et avec tant de simplicité en même temps qu’il était impossible d’y donner une fausse interprétation. La conversation changea, et nous nous mîmes à causer du passé. Lucie parla de