Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/47

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bien deux passages à traverser, qui méritaient quelque attention, mais pas assez sérieusement pour me tenir éveillé ; c’était la Race’, passage des Highlands, et la Mer de Tappan ; deux points de l’Hudson sur lesquels les navigateurs de ce fleuve classique aimaient à raconter des histoires merveilleuses. Le premier n’était formidable qu’à une époque plus avancée de l’automne, je le savais ; et quant à l’autre, j’espérais jouir de ses prodiges le matin : dans cette attente très-naturelle, je m’endormis.

Neb ne m’appela qu’à dix heures. Je découvris que Rupert n’avait tenu le gouvernail que pendant une heure, et qu’alors, calculant que de cinq à neuf il y avait quatre heures, il avait pensé que c’eût été dommage que le nègre n’eût pas eu sa part de la gloire de cette nuit. Quand Neb me réveilla, ce fut seulement pour me dire qu’il était temps de prendre quelque chose. Neb serait mort de faim plutôt que de précéder son jeune maître dans cette occupation importante ; quant à Rupert, il dormait paisiblement à mon côté.

Nous étions au centre du Tappan, et les Highlands avaient été passés sans danger. Neb s’étendit un peu sur les difficultés de la navigation ; il y avait beaucoup de coudes : le fleuve était bordé de très-hautes montagnes ; mais, après tout, il convint qu’il y avait de l’eau pas mal, du vent pas mal, et une route pas trop mal. À partir de ce moment, la curiosité nous tint éveillés ; tout était nouveau, tout semblait ravissant. La journée était belle, le vent toujours favorable, et rien ne venait troubler notre joie. J’avais une petite carte qui n’était pas très exacte, ni très-bien gravée, et je me rappelle avec quelle importance, après m’être assuré du fait, je montrai à mes deux compagnons les rochers qui bordent la rive occidentale, en leur disant que c’était New-Jersey. Rupert, lui-même, fut frappé de cette grande découverte ; quant à Neb, il était en extase, il roulait ses grands yeux noirs et montrait ses dents blanches, quand tout à coup il ferma ses lèvres de corail pour demander ce que c’était que New-Jersey. Je ne manquai pas de satisfaire ce louable désir d’instruction, et Neb parut plus content que jamais quand il apprit que New-Jersey était un état. Les voyages n’étaient pas alors aussi répandus qu’aujourd’hui, et c’était quelque chose pour trois jeunes Américains, dont le plus âgé n’avait pas dix-neuf ans, de pouvoir dire qu’ils avaient vu un état autre que le leur.

Malgré la rapidité de notre marche pendant les premières heures de notre expédition, le voyage était loin d’être terminé. Vers midi une légère brise s’éleva du sud ; le flux se fit sentir, et nous fûmes obligés de jeter l’ancre : cela ne nous allait pas, car pour des per-