Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/9

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M. Hardinge parut à la porte de la chambre, un livre de prières à la main. Il réclama notre attention ; tout le monde se mit à genoux dans les deux chambres ; et le bon vieillard, avec sa touchante simplicité, se mit à lire quelques Collectes, la Prière de Notre-Seigneur, et il finit par l’acte d’action de grâces pour « l’heureux retour du marin. »

Cette pieuse cérémonie, accomplie avec une ferveur si sincère, nous émut profondément, en même temps qu’elle calma notre agitation, et elle nous permit de reprendre un peu d’empire sur nous-mêmes. Au moment où je me retirais pour laisser reposer ma sœur, le bon ministre se jeta à mon cou ; puis, prenant ma tête à deux mains, comme lorsque j’étais tout petit, il m’embrassa à plusieurs reprises et me donna tout haut sa bénédiction. J’avoue que je n’eus que le temps de courir sur le pont pour cacher mon émotion.

Au bout de quelques minutes, dès que j’eus repris assez de sang froid, je donnai ordre de mettre à la voile, et nous remontâmes le fleuve à la suite de l’Orphée que nous ne tardâmes pas à dépasser, en ayant soin de nous tenir à une distance respectueuse ; précaution que je regrettai longtemps de n’avoir pas prise la première fois. Mistress Drewett et ses deux filles n’ayant pas voulu quitter André, nous dûmes garder toute la famille à bord, bon gré mal gré. J’avoue que je fus assez égoïste pour me plaindre un peu, quoiqu’à part moi, de trouver toujours ces gens-là sur mon chemin, pendant les courts intervalles où j’avais le bonheur d’être auprès de Lucie. Comme c’était un mal sans remède, quand toutes les voiles furent déployées je m’assis sur un des sièges qui se trouvaient sur le pont, et je me mis, pour la première fois, à réfléchir froidement à tout ce qui s’était passé. Pendant que j’étais absorbé dans ces méditations, Marbre vint se placer à côté de moi, me serra cordialement la main, et se mit à causer. À ce moment, Neb qui venait de changer complètement de toilette pour se sécher, et qui était beau comme un astre, était debout sur le gaillard d’avant, les bras croisés, dans l’attitude du marin, aussi calme que s’il n’avait jamais entendu le vent siffler. Parfois, cependant, il lui arrivait de s’oublier sous l’influence des sourires et de l’admiration naïve de Chloé. Dans ces moments de faiblesse il baissait la tête, laissait échapper un rire mal comprimé ; puis, rentrant tout à coup en lui-même, il s’efforçait de reprendre un air de dignité. Pendant que cette pantomime allait son train sur l’avant, la conversation ne languissait pas sur le gaillard d’arrière.