Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/189

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saient dans la foule pour des patriotes et pouvaient donner à leurs pareils d’utiles informations.

C’était à l’aide de semblables moyens que Joël connaissait l’importante mesure de la déclaration d’indépendance, qui était restée un secret pour le capitaine Willoughby. Dans l’attente d’une confiscation, plusieurs de ces hommes avaient déjà choisi la portion de terre qui devait être la récompense de leur patriotisme. On a dit que les ministres anglais précipitèrent la révolution américaine dans l’intention de partager entre leurs favoris les états qui allaient dépendre de la couronne. On peut concevoir des doutes raisonnables sur des motifs aussi odieux. D’un autre côté, cependant, il est certain que la postérité conservera avec les noms justement illustres que les événements de 1776 ont donnés à l’histoire, ceux de quelques individus qui n’ont agi que par les motifs les plus intéressés, et qui se sont enrichis avec les biens confisqués à leurs parents ou à leurs amis. Joël Strides était d’une trop basse classe pour arriver à faire enrôler son nom sur la liste des héros ; ce n’était pas un ambitieux d’une telle distinction ; il n’aspirait cependant à rien moins qu’à devenir propriétaire de la Hutte. Dans un état ordinaire de la société une vue aussi haute dans un homme de cette condition semblerait déraisonnable, mais Joël était né de gens qui mesurent rarement leurs prétentions sur leur mérite, et qui s’imaginent que marcher hardiment surtout dans le chemin de l’argent est le premier et le plus important degré de réussite. Cette doctrine est fausse dans des milliers de cas. Joël ne voyait pas d’autre obstacle que la loi qui s’opposât à ce qu’il devînt le seigneur de l’établissement aussi bien que le capitaine Willoughby, et la loi pouvant subir des changements favorables à ses desseins, il avait prudemment résolu de ne s’inquiéter d’aucune autre considération. La pensée de ce que deviendraient mistress Willoughby et ses filles le touchait peu ; elles avaient déjà possédé les avantages de leur situation assez longtemps pour donner à Phœbé et à la femme du meunier la prétention morale de leur succéder.

L’apparition d’un étranger en compagnie du capitaine Willoughby ne pouvait donc pas manquer de faire naître des conjectures dans l’esprit d’un homme qui chaque jour et à toute heure s’occupait de tous ces changements importants. Qui cela peut-il être ? pensait Joël tout en suivant lentement le sentier, et posant une