Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/27

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monté d’un arceau de branches entrelacées qui n’étaient pas encore ornées de leurs feuilles.

Ici l’on commença à s’inquiéter de l’absence de Michel. On ne voyait nulle part sa chaloupe, et le capitaine sentit la nécessité d’envoyer à sa recherche avant d’aller plus loin. Après une courte conférence, on détacha vers l’ouest un bateau monté par deux nègres, le père et le fils, qu’on appelait Pline l’ancien et Pline le jeune. Sur la plaine qui à cet endroit traverse la vallée, on prépara immédiatement une hutte pour madame Willoughby. À cet endroit s’élève aujourd’hui la jolie petite ville de Cooperstown, qui ne fut commencée que vingt ans plus tard.

La nuit était tombée avant que les deux Plines revinssent, traînant derrière eux la chaloupe de Michel, comme leurs illustres homonymes auraient pu ramener en triomphe une galère carthaginoise. L’Irlandais avait laborieusement fait son chemin à travers les eaux, parcourant l’espace d’une lieue avant d’être rencontré, et n’avait pas été médiocrement satisfait en voyant approcher du secours. À cette époque, il n’existait pas encore entre les émigrés irlandais et les nègres la violente antipathie que l’on rencontre aujourd’hui, la concurrence entre ces deux races pour le service intérieur ne s’étant développée que cinquante ans plus tard. Cependant, comme le nègre aime par constitution les drôleries, Michel ne fut pas à l’abri de leurs sarcasmes.

— Pourquoi donc, Irlandais, s’écria Pline le jeune, traîner ce bateau comme un bœuf ? Pourquoi pas le ramener à la rame, comme tout le monde ?

— Ah ! vous ne valez pas mieux que les autres, murmura Michel. On m’avait dit que l’Amérique est un pays chaud, et je le trouve effectivement chaud, quoique l’eau ne soit pas aussi chaude que du bon whiskey. Allons, diables noirs, voyons si vous pourrez contraindre cet être contrariant à faire ce qu’on lui demande ?

Les nègres eurent bientôt pris Michel à la remorque, et descendirent gaiement le lac en faisant mille plaisanteries aux dépens de l’Irlandais. Quand il eut rejoint son maître, il ne dit pas un mot de sa mésaventure ; Joël se garda bien de révéler son secret, et fit même chorus avec Michel en dénonçant les mauvaises qualités du bateau. Nous devons ajouter que les méchancetés de Joël venaient de ce qu’il voyait dans Michel un domestique favorisé par ses maîtres ; et il voulait le faire tomber en discrédit.