Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/64

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mais il sied mal à ma robe de dissimuler… j’espère que le major m’excusera…

— Dites, dites, monsieur Woods, s’écria Robert Willoughby en souriant. Vous savez que pour vous il n’y a rien à craindre de votre ancien ami le major.

— Je m’en doutais, je m’en doutais. Eh bien, j’ai été satisfait, j’ai été profondément heureux d’apprendre que mes compatriotes, du côté de l’est, aient fait fuir devant eux les troupes royales.

— Je n’ai pas conscience de m’être servi de ces termes, Monsieur, lorsque j’ai raconté comment nous étions rentrés dans nos retranchements, répliqua le jeune soldat avec un peu de raideur. Je suppose qu’il est naturel pour un Yankee de sympathiser avec un autre ; mais mon père, monsieur Woods, est un homme de la vieille Angleterre et non pas de la nouvelle, et on peut lui pardonner de sentir quelque chose pour les serviteurs de la couronne.

— Certainement, mon cher major, certainement, mon cher monsieur Robert, mon ancien élève, et toujours, j’espère, mon ami, tout cela est assez vrai et très-naturel. Je permets au capitaine Willoughby de faire des vœux en faveur des troupes royales, tandis que je fais des vœux en faveur de mes compatriotes.

— C’est naturel des deux parts, sans doute ; mais il ne s’ensuit pas que des deux parts ce soit juste. « La patrie quand même » est une maxime pompeuse, mais ce n’est pas toujours une maxime d’honnête homme. Notre pays, par exemple, ne peut pas prétendre sur nous à plus de droits que nos parents ; et qui pourrait moralement réclamer le droit de soutenir même un père dans ses erreurs, ses injustices, ou ses crimes ? Non, non ; je déteste ces prétentieux dictons ; ils ne signifient au fond rien de bon et de solide.

— Mais quand votre patrie se trouve en guerre ? dit le major du ton modeste qui lui était habituel en partant à son père.

— C’est juste, Bob, mais la difficulté ici est de savoir où est la patrie. Il s’agit, à vrai dire, d’une querelle de famille, et il ne saurait être question d’étrangers. C’est comme si je traitais Maud avec dureté, parce qu’elle est seulement la fille d’un ami, et non ma propre fille. Je prends le ciel à témoin, Woods, que je ne puis savoir en ce moment si je n’aime pas Maud Meredith aussi tendrement que Beulah Willoughby. Il y eut même, je crains de l’avouer, une époque de son enfance où la charmante petite avait