Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/212

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son calme ordinaire, et qu’elle était occupée à mêler de nouveau les cartes pour lui, il s’avança pour connaître sa destinée. Je vis le regard de Dorothée s’attacher fixement sur lui, lorsqu’il vint prendre place près de la table, et les coins de sa bouche se crispèrent en un sourire significatif. Je n’ai jamais pu savoir exactement ce que ce sourire signifiait.

— Sans doute, comme tous les autres, vous voulez savoir quelque chose du passé, afin d’avoir plus de foi à ce que vous entendrez dire de l’avenir ?

— À dire vrai, la mère, répondit Guert en passant les doigts à travers les boucles de ses beaux cheveux, et en parlant avec quelque précipitation, ce n’est pas que je me soucie beaucoup du passé. Ce qui est fait est fait, et tout est dit. Il y a des choses qu’un jeune homme aime tout autant à ne pas entendre répéter, surtout lorsqu’il cherche sérieusement à faire mieux. Nous sommes tous jeunes une fois dans notre vie, et ce n’est qu’après l’avoir été que nous devenons vieux.

— Oui, oui, je vois ce que c’est ! marmotta Dorothée ; des dindons, des dindons ! des canards, des canards ! couak, couak, couak ! cuick, cuick, cuick. Et alors la vieille se mit à imiter si parfaitement les cris de canards, d’oies, de poules, de dindons, et de tous les oiseaux du monde, que de l’antichambre on aurait pu se croire à côté d’une véritable basse-cour. Je restai moi-même tout interdit, tant l’imitation était admirable. Pour Guert, il suait à grosses gouttes, et il fut obligé de s’essuyer le front.

— C’est assez, c’est assez, la mère ! s’écria-t-il ; je vois que vous savez tout, et il ne sert à rien de se déguiser avec vous. Eh bien ! à présent, dites-moi si je serai marié un jour, oui ou non ! aussi bien est-ce pour cela que je suis venu, et j’aime mieux en avoir tout de suite le cœur net.

— Le monde renferme beaucoup de femmes, et les jolies figures ne manquent pas à Albany, murmura de nouveau la vieille en examinant ses cartes avec une grande attention. Un jeune homme comme vous peut même se marier deux fois.

— Non, c’est impossible ; si je n’épouse pas une certaine dame, je ne me marierai point du tout.