Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/27

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lui, comme pour s’assurer si le ministre ou « les voisins » n’étaient pas là pour le voir.

Les voisins ! qu’un homme devient méprisable, quand il vit dans une crainte continuelle des commentaires et des jugements de ces inquisiteurs sociaux ! quelle pitié de n’avoir pour guide de ses actions que cette stupide pensée du qu’en-dira-t-on ? Et cependant on verra l’homme le plus heureusement doué accepter ainsi la surveillance de l’envie, de l’ignorance et de la sottise. C’est toujours la table du géant tenu enchaîné par un pygmée. J’ai toujours remarqué que ceux qui par leur caractère et leurs principes auraient le plus de droits de siéger dans ce tribunal improvisé ont toujours soin de s’en tenir éloignés, laissant ainsi le rebut de la société rendre des arrêts qui, pour être injustes, n’en exercent pas moins d’autorité.

J’aurais ri de bon cœur, si je l’avais osé, en voyant Jason éprouver toutes les angoisses d’un criminel, pendant que ma bonne et innocente mère préparait la table de jeu. Ses scrupules n’étaient que de convention ; c’était le résultat des idées étroites et mesquines d’une secte de province ; ce n’était point le cri de la conscience, telle que Dieu l’a faite. Mon grand-père dit qu’on ne voyait plus littéralement que le blanc de ses yeux, au moment où M. Worden commença à mêler ; et pendant tout le temps de la partie, il avait l’air embarrassé d’un coupable qui s’attend à voir entrer quelqu’un et à être pris sur le fait. Je découvris bientôt que, si Jason avait peur, ce n’était pas de commettre des actions aussi noires que celle de faire un whist ou de boire un verre de punch ; c’était d’être vu le faisant. Sa conscience établissait une ligne de démarcation bien distincte entre les actes et les conséquences qu’ils pouvaient entraîner. En un mot, il était fragile tout comme un autre, mais il lui répugnait de le paraître.

M. Worden sua sang et eau pour faire briller son successeur, et rien n’était plus amusant que la manière dont Jason prononçait le latin. Il n’avait pas la plus légère idée de la quantité, et c’était à n’y rien reconnaître. Son anglais n’était pas moins burlesque. Jason était le fils d’un bon fermier du Connecticut, et il n’avait reçu dans, le principe d’autre éducation que celle qu’on peut recevoir dans une école de village ; il n’avait lu d’autres livres que