Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/277

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qui défendaient Ticonderoga, et par conséquent assez près de l’extrémité du lac George ; l’armée s’y reforma en bon ordre et s’établit quelque temps dans cette position.

Il était nécessaire d’attendre l’arrivée des munitions, de l’artillerie et des provisions de toute espèce ; le transport n’était pas facile à travers une contrée qui n’était guère qu’une forêt vierge, et il prit deux jours entiers. Ce furent deux jours de tristesse et de deuil ; la mort de lord Howe avait produit sur toute l’armée le même effet qu’une défaite. Il était l’idole des soldats, et les Américains ne lui étaient pas moins attachés que ses compatriotes. Je ne sais quel sentiment pénible s’était emparé de tous les esprits ; on eût dit, à la consternation générale, que chacun de nous avait perdu un frère.

Arrivés au camp, nous cherchâmes le régiment de Bulstrode qui nous reçut cordialement ; son accueil fut plus chaud encore quand il apprit que nous composions le petit détachement qui s’était signalé par son intrépidité sur le flanc de la colonne de droite, et qui s’était avancé plus loin que tous les autres. Notre entrée au régiment eut donc lieu avec quelque éclat, et ce fut à qui nous féliciterait de notre courage.

Néanmoins le deuil n’était pas moins profond dans ce corps que dans tous les autres ; lord Howe y était aimé comme, au reste, il l’était de toute l’armée, et ce ne furent pas des démonstrations de joie qui accueillirent notre arrivée. Bulstrode avait un commandement important pour un officier aussi jeune, et assurément il était fier de sa position ; mais je pouvais voir que son caractère, naturellement gai et ouvert, subissait aussi l’influence de ce qui était arrivé.

— Il peut vous paraître étrange, Corny, me dit-il le soir pendant que nous nous promenions à l’écart, de remarquer autant d’abattement dans l’armée, lorsque notre débarquement s’est effectué heureusement, et que nous avons fait quelques centaines de prisonniers. Voyez-vous, mon ami, il vaudrait mieux pour nous que notre meilleure brigade eût été écharpée que d’avoir perdu l’homme que nous pleurons. Howe était l’âme de l’armée ; il était né soldat, et tous ceux qui l’entouraient se formaient à son exemple. Soit dit entre nous, le commandant en chef ne connaît