Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/21

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la plus belle salle de l’auberge, et, quand j’eus apaisé mon appétit, Je me mis à lire quelques papiers qui avaient trait à la mission dont j’étais chargé. Jamais on n’aurait pu s’imaginer que je n’avais qu’un schelling dans ma poche ; car mon air était celui d’une personne qui a les moyens de payer tout ce qu’elle demande. La certitude que mon hôte ne perdrait rien pour attendre un peu me donnait une dose convenable d’assurance. Je venais d’achever ma lecture, et je me demandais comment j’emploierais les quelques heures qui restaient avant que je pusse raisonnablement me mettre au lit, quand j’entendis Jaap qui accordait un violon dans la salle commune. Comme la plupart des nègres, le drôle avait du goût pour la musique ; il s’était exercé, et il ne jouait pas plus mal que la moitié des ménétriers du pays.

Le son d’un violon dans un petit hameau, par une froide soirée d’octobre, ne pouvait manquer de produire son effet. Au bout d’une demi-heure, l’hôtesse, toute souriante, vint m’inviter à me joindre à la compagnie, ajoutant très-gracieusement que je ne manquerais pas de danseuses, attendu que la plus jolie fille du village venait d’arriver, et qu’elle n’avait pas encore de cavalier. À mon entrée dans la salle, je fus accueilli par une foule de saluts et de révérences toutes plus gauches les unes que les autres, mais avec bonhomie et simplicité. Jaap aussi me salua en grande cérémonie, et de manière à écarter tout soupçon que nous nous fussions jamais vus.

La danse continua encore pendant deux heures avec beaucoup d’entrain ; mais l’horloge avertit alors les jeunes filles du village qu’il était temps de se retirer. Voyant approcher le moment de la séparation, Jaap me tendit respectueusement son chapeau, et de l’air le plus magnifique j’y jetai ostensiblement mon schelling, et je le passai à la ronde. Un autre schelling y fut déposé, puis des pièces de six sous, puis de simples sous, suivant que la bourse de chaque danseur était plus ou moins garnie. Pour couronner l’œuvre, l’hôtesse, qui avait la meilleure mine du monde, et qui aimait la danse, annonça que le joueur de violon et son cheval seraient hébergés gratis ; sur quoi Jaap se retira. Grâce à cet ingénieux expédient, je trouvai le lendemain matin, dans ma bourse, six schellings et demi en argent, et des sous en assez