Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repos de leur petite baie. La grande voile de ce bâtiment était la seule qui fût étendue au vent, excepté un de ses légers focs qui se déployait bien au-delà de la proue, et cependant il voguait avec une grâce et une facilité qui semblait tenir de la magie, et qui fit que les spectateurs détournèrent les yeux de ce spectacle pour se regarder les uns les autres d’un air émerveillé.

Enfin, l’Écossais rompit le silence.

— Il faut que celui qui tient le gouvernail soit un hardi coquin ! dit-il d’un ton bas et solennel ; et si ce schooner est doublé en bois, comme les brigantins qui font voile entre Londres et le Frith de Leith, il court plus de danger qu’un homme prudent ne le voudrait. Le voilà à côté de ce gros rocher qui montre sa tête quand la marée est basse ; il l’a évité ; mais ce n’est pas la main d’un homme qui peut diriger longtemps un bâtiment dans une pareille rade sans rencontrer en même temps la terre et l’eau.

Cependant le petit schooner continuait à s’avancer à travers les rochers et les bancs de sable, en faisant de temps en temps dans sa course de légères déviations qui prouvaient que celui qui commandait à bord connaissait le danger. Lorsqu’il fut avancé dans la baie, autant que la prudence pouvait le permettre, on vit la grande voile se carguer en apparence d’elle-même, car on n’aperçut personne qui travaillât à cette manœuvre, et le bâtiment, après avoir couru quelques bordées sur les longues lames d’eau qui arrivaient de l’Océan, appuyé sur ses ancres, ne fit plus que céder graduellement à l’action du flux et du reflux.

Les paysans se livrèrent alors à leurs conjectures sur le motif qui amenait ce navire dans ces parages, les uns prétendant qu’il faisait un commerce de contrebande, les autres que c’était un vaisseau de guerre. Quelques uns élevèrent en tremblant des doutes sur la réalité de ce qu’ils voyaient. — Un navire monté par des hommes et construit par la main des hommes, disaient-ils, ne se hasarderait pas près d’une côte aussi dangereuse, surtout dans un moment où il ne fallait pas avoir l’expérience d’un marin pour prévoir un coup de vent. — L’Écossais, qui, à la sagacité de ses concitoyens, joignait une bonne partie de leur superstition, penchait fort pour cette dernière opinion, et il commençait à exprimer son sentiment à ce sujet avec une sorte de retenue, quand l’Irlandais, qui ne paraissait pas avoir des idées bien nettes sur cet objet, l’interrompit tout à coup.