Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/144

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pait mon oreille ! c’était une terrible réalité. Pourquoi avez-vous ainsi bravé l’indignation des lois de votre pays ? à quels projets perfides votre caractère indomptable vous a-t-il encore entraîné ?

— De vous à moi, Alix, répondit le marin avec une froideur sévère, un pareil langage est fort cruel. J’ai vu le temps où, même après une plus courte absence, j’aurais été mieux accueilli.

— Je ne le nie pas. Quand je le voudrais, je ne pourrais dérober la connaissance de ma faiblesse ni à celui qui en est l’objet, ni à moi-même. À peine désiré-je la cacher à qui que ce soit au monde. Si je vous ai estimé, si je vous ai engagé ma foi, si ma folle confiance m’a fait oublier de plus sérieux devoirs, Dieu m’en a terriblement punie en permettant votre conduite perverse.

— Ne remplissons pas d’amertume cette courte entrevue par des reproches mutuels, Alix. Nous avons bien des choses à nous dire avant que vous me fassiez part du motif de merci qui vous amène ici. Je vous connais trop bien, Alix, pour ne pas voir que vous sentez dans quel péril je me trouve, et que vous êtes disposée à hasarder quelque chose pour m’en tirer. Mais, avant tout, votre mère vit-elle encore ?

— Elle est allée rejoindre mon vertueux père, répondit Alix en couvrant des deux mains son visage pâle. Je suis restée seule, complètement seule ; car celui qui devait me tenir lieu de tout s’est rendu indigne de ma confiance.

Le marin devint la proie d’une vive agitation. Ses yeux jusqu’alors doux et paisibles se fixèrent sur Alix avec ardeur, et il se promena à grands pas dans la chambre.

— J’aurais à dire pour ma justification, reprit-il enfin, bien des choses que vous ignorez. J’ai quitté ce pays parce que je n’y trouvais qu’oppressions et injustice, et je ne pouvais vous lier au sort d’un fugitif sans nom, sans fortune. Aujourd’hui les circonstances sont changées, et je puis vous prouver que je ne vous ai pas manqué de foi. Vous êtes seule, dites-vous ? Ne le soyez plus, et voyez si vous vous êtes trompée en croyant que je pourrais un jour remplacer près de vous un père et une mère.

Une pareille offre, même quand elle est faite un peu tard, a toujours quelque chose qui sonne agréablement aux oreilles d’une femme ; et pendant le reste de l’entretien Alix parla d’un ton plus doux, quoique son langage ne fût pas moins sévère.