Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/204

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stable leur montrant de la main le pavillon anglais flottant au haut de ses mâts, ordonna à son équipage de leur répondre par de semblables acclamations. Comme on était trop loin du rivage pour avoir d’autres communications, et que ceux qui étaient sur les rochers n’avaient pas de barque à leur disposition, les soldats, après avoir considéré quelque temps les deux navires qui s’éloignaient, finirent par se retirer et disparurent aux yeux de nos hardis marins.

Ils passèrent plusieurs heures à naviguer péniblement et lentement contre la marée et le courant, et le jour commençait à baisser quand ils arrivèrent près de la baie dans laquelle ils se proposaient d’entrer. Dans une des nombreuses bordées qu’ils furent obligés de courir, tantôt s’approchant de la côte, tantôt s’en éloignant, Barnstable, resté à bord de la prise, vit flotter sur l’eau le corps de la victime qu’ils avaient immolée le matin. Sa masse noire semblait un rocher qui élevait sa tête au-dessus de l’Océan et sur lequel les vagues venaient se briser, et des requins affamés étaient déjà occupés à en faire leur proie.

— Voyez, maître Coffin, dit le lieutenant à son contre-maître en lui montrant la baleine, voyez quel régal vous avez préparé à ces messieurs ! Vous avez oublié de vous acquitter du devoir d’un chrétien, qui est de donner la sépulture à l’ennemi vaincu.

Le vieux marin jeta un regard de tristesse sur le cadavre qui flottait à quelques toises, et répondit en soupirant :

— Si je tenais la créature dans la baie de Boston, ou à la pointe de Sandy Munny-Moy, ma fortune serait faite ! mais les richesses et les honneurs sont pour les grands et les savants, et Tom Coffin n’a d’autre destin ici-bas que de virer et de revirer pour tâcher de résister aux ouragans de la vie, sans laisser fendre ses vieilles vergues.

— Comment diable, Tom-le-long ! ces rochers et ces écueils vous feront faire naufrage dans les bas-fonds de la poésie ! vous devenez sentimental !

— Ces rochers peuvent faire faire naufrage au bâtiment qui touche : et quant à la poésie je n’en connais pas de meilleure que la vieille chanson du capitaine Kidd. Mais il y a de quoi faire naître des pensées tristes dans l’esprit d’un Indien du cap Poge quand il voit une baleine de quatre-vingts barils d’huile dévorée par des requins. C’est une vraie dévastation ! Eh bien ! j’ai vu