Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/209

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— Nous lui devons notre délivrance, dit-il à Griffith ; mais sa folie ne nous en fera-t-elle pas perdre le fruit ?

— C’est, comme le dit Barnstable, un homme rectangulaire. Il tient à toutes les formes pointilleuses de sa profession ; mais, dans une expédition dangereuse, il est hardi et entreprenant. Si nous pouvons lui inspirer un peu de prudence et de discrétion, ce n’est pas la bravoure qui lui manquera au besoin.

— C’est tout ce qu’il nous faut ; mais jusqu’au dernier moment, faites en sorte que ses soldats et lui restent muets et immobiles. Si nous sommes découverts, ce ne sont pas les efforts d’une vingtaine de baïonnettes qui nous protégeront contre les forces qu’on mettrait sur pied pour nous écraser.

— La vérité de cette observation n’est que trop palpable. Ces drôles dormiront tout une semaine en mer, en dépit du vent, mais l’odeur de la terre les éveille, et je crains qu’il ne soit difficile de les maintenir en repos pendant le jour.

— Il le faut pourtant, Monsieur, et il faut recourir à la force si les avis sont inutiles. Si nous n’avions affaire qu’aux recrues de cet ivrogne de capitaine, il ne nous serait pas difficile de les pousser dans la mer : mais j’ai appris dans ma prison qu’on attend de la cavalerie au point du jour. C’est un Américain, un nommé Dillon, qui est aux aguets pour nous perdre.

— Le misérable traître ! s’écria Griffith. Mais vous avez donc eu aussi des communications avec quelques habitants de Sainte-Ruth ?

— Il convient qu’un homme embarqué dans une entreprise périlleuse saisisse toutes les occasions de s’éclairer sur les dangers qu’il peut courir. Si ce qu’on m’a dit à cet égard est vrai, je crains qu’il ne nous reste bien peu d’espoir de réussite.

— Eh bien ! profitons de l’obscurité pour rejoindre le schooner. Les côtes d’Angleterre fourmillent de croiseurs ennemis ; un riche commerce y amène des bâtiments des quatre parties du monde ; nous ne manquerons pas d’occasions de trouver des adversaires dignes de nous, et de pouvoir couper aux Anglais le nerf de la guerre, en détruisant leurs richesses.

— Griffith, répondit le pilote d’un ton modéré qui semblait celui d’un homme qui n’a jamais connu ni l’ambition ni les passions humaines, je suis las de cette lutte entre le mérite et l’ignorance privilégiée. C’est en vain que je parcours victorieusement