Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/269

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tous ses efforts, parvint à conduire le schooner directement en face de la batterie, sur le rivage opposé, et aussi près qu’on le pouvait sans danger des rochers dont le sommet était couronné d’une épaisse fumée, que chaque décharge colorait d’un rouge sombre semblable aux teintes les plus faibles que donnent aux nuages les derniers rayons du soleil couchant.

Tant que nos hardis marins purent gouverner le bâtiment dans la ligne d’ombre produite par les montagnes, ils étaient en sûreté, parce qu’on ne pouvait les voir ; mais quand il fallut en sortir pour entrer dans le canal qui conduisait hors de la baie, Barnstable reconnut sur-le-champ que l’obscurité ne cacherait plus leurs mouvements à l’ennemi, et que ses longs avirons ne suffiraient plus pour résister aux courants d’air qu’ils rencontraient. Prenant son parti à l’instant même, il résolut de ne plus chercher à se cacher, et donna ordre avec son ton d’enjouement ordinaire qu’on déployât toutes les voiles.

— Qu’ils fassent tout ce qu’ils voudront, Merry, ajouta-t-il ; nous sommes à présent à une distance qui, je crois, maintiendra leurs boulets au-dessus de la ligne d’eau, et nous n’avons à bord ni fainéants ni bras inutiles.

— Il faudrait de meilleurs artilleurs que les miliciens, les recrues, les volontaires, ou quelque soit le nom que se donnent ceux qui manœuvrent cette batterie, pour empêcher l’Ariel de prendre le vent, répondit le jeune midshipman ; mais pourquoi nous avez-vous ramené Jonas à bord ? Regardez-le à la lueur de la lampe de la cabane ; il frémit à chaque coup de canon, comme si le boulet était à son adresse. Et quelles nouvelles avez-vous de M. Griffith et du capitaine Manuel ?

— Ne m’en parlez pas, Merry, dit Barnstable en lui saisissant le bras, ne me parlez pas de Griffith ; j’ai besoin en ce moment de toute ma présence d’esprit, et rien que l’idée de Griffith et la vue de ce traître suffiraient pour me distraire de mes devoirs. Mais un temps viendra !… Allons, Monsieur, songez à la manœuvre ; le vent se fait sentir et nous entrons dans un canal étroit.

Le midshipman obéit sur-le-champ à l’ordre que son commandant lui donnait avec le ton ordinaire à leur profession, et qui signifiait qu’il devait reprendre la subordination d’un officier inférieur, quoique Barnstable, en causant avec lui, oubliât souvent la