Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/273

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vaisseau puisse voler en dépit d’un ouragan ? Voulez-vous que je vire vent arrière, et que je le fasse échouer ?

— Je ne veux rien, capitaine Barnstable, absolument rien, répondit le vieux marin sensible au déplaisir de son commandant ; je sais que vous êtes aussi en état qu’aucun homme qui ait jamais marché sur les planches d’un tillac de lui faire prendre le large. Mais, Monsieur, quand cet officier qui voulait m’enrôler comme soldat me parlait du projet qu’on avait formé de couler à fond l’Ariel sur ses ancres, je me suis senti comme je ne m’étais jamais trouvé auparavant. Il me semblait que je le voyais se briser, oui, Monsieur, se briser, comme vous voyez la tête de ce mât séparée du tronc. Et, je l’avouerai, car il est aussi naturel d’aimer son navire que de s’aimer soi-même, cette vue m’a fait perdre tout mon courage.

— Allons, allons, vieux corbeau de mer, s’écria le lieutenant, occupez-vous de la manœuvre. Mais, écoutez-moi, Tom-le-Long : si votre imagination vous présente des naufrages, des requins et d’autres spectacles aussi séduisants, gardez-les à fond de cale dans votre cerveau, et ne leur faites pas voir le jour sur mon gaillard d’avant. Voyez M. Merry, et suivez son exemple. Le voilà assis sur votre canon, chantant comme s’il était enfant de chœur dans l’église de son père.

— Ah ! capitaine Barnstable, répondit le contre-maître, M. Merry est un enfant. Il ne connaît rien, et par conséquent il ne craint rien. J’obéirai à vos ordres, Monsieur, et si un seul homme de l’équipage est effrayé de l’ouragan, ce ne sera pas parce qu’il aura entendu parler le vieux Tom Coffin.

Il fit deux ou trois pas pour retourner sur le gaillard d’avant ; mais il semblait s’éloigner à regret de son officier ; et il revint à lui sur-le-champ.

— Capitaine Barnstable, lui dit-il, voudriez-vous bien appeler M. Merry ? Vous savez que j’ai passé sur les eaux tout le temps de ma vie, et j’ai appris que rien ne redouble la fureur du vent comme de chanter pendant un ouragan. Celui qui commande aux tempêtes est mécontent que la voix de l’homme se fasse entendre quand il lui plaît d’envoyer son propre souffle sur la surface de la mer.

Barnstable ne savait trop s’il devait rire de la faiblesse de son contre-maître ou céder à l’impression que son air grave et solen-