Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/275

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tive si effrayante. Dillon lui-même, aux oreilles duquel le bruit du danger qu’on courait était déjà parvenu, avait quitté la cabane où il était resté caché jusqu’alors, et marchait d’un pas chancelant sur le tillac, sans que personne fît attention à lui ; mais son oreille avide dévorait les moindres paroles qui échappaient aux matelots consternés.

En ce moment d’appréhension générale, le contre-maître montrait la résignation la plus calme. Il savait qu’on avait fait tout ce qui était au pouvoir de l’homme pour écarter de la terre le petit navire, et il n’était que trop évident à ses yeux expérimentés que tout était inutile : mais, se regardant en quelque sorte comme une partie inhérente de son schooner, il était résolu à en partager le destin fatal ou favorable.

Le front de Barnstable était sombre, mais aucune considération personnelle ne causait son inquiétude ; elle prenait sa source dans cette affection presque paternelle que tout commandant de navire éprouve pour ceux qui servent sous ses ordres. L’ordre de la discipline la plus exacte continuait à être complètement observé. Deux des plus vieux marins avaient à la vérité indiqué l’intention de noyer dans l’ivresse la crainte de la mort ; mais Barnstable avait demandé ses pistolets d’un ton qui leur avait imposé sur-le-champ ; et quoiqu’il n’eût pas touché à ses armes, quoiqu’il les eût laissées sur le cabestan où on les avait placées, nul autre symptôme d’insubordination ne s’était, manifesté dans l’équipage. On y remarquait même, ce qui aurait paru à un homme étranger à la mer une attention minutieuse à remplir les moindres devoirs dont chacun était chargé. On levait les câbles, on réparait avec soin les plus légers dommages qu’occasionnaient les vagues par lesquelles, à chaque instant, était balayé le pont de l’Ariel. Chacun apportait à toutes ces manœuvres le même zèle et la même précision que si le navire eût été à l’ancre dans une baie tranquille. En un mot, le chef exerçait encore toute son influence sur l’équipage soumis et silencieux, non par la vanité de prolonger une autorité expirante, mais pour maintenir cette unité d’action qui pouvait seule faire luire un dernier rayon d’espérance.

L’Ariel ne peut résister à une pareille mer sous ces haillons de voiles, dit Bannstable au contre-maître qui, les bras croisés et avec un air de froide résignation, se balançait sur le bord du