Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/285

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— Pas le moindre, Monsieur, répondit Merry, et nous ne devons pas nous attendre à le revoir jamais, quoiqu’on l’ait vu se soutenir sur l’eau une heure entière quand une baleine renversait sa barque. Nos matelots m’ont assuré qu’il a dit bien des fois que jamais il n’abandonnerait son vaisseau s’il venait à échouer, et qu’il ne chercherait même pas à conserver ses jours en se mettant à la nage. Dieu sait, ajouta-t-il en essuyant à la dérobée une larme qui lui mouillait les yeux, et qu’il craignait qu’on n’attribuât à la faiblesse de son âge ; Dieu sait que je préférais Tom Coffin à tous les marins de son grade qui se trouvaient à bord de nos deux bâtiments. Vous veniez bien rarement sur la frégate sans qu’il vous accompagnât, et chacun s’assemblait autour de lui pour l’entendre raconter ses longues histoires et lui faire bon accueil ; car tout le monde l’aimait, monsieur Barnstable. Mais l’affection ne peut rendre la vie aux morts.

— Je le sais, je le sais, dit Barnstable avec une voix rauque qui prouvait combien il était ému ; je ne suis pas assez fou pour croire à l’impossible ; mais tant qu’il me restera le moindre espoir qu’il vit encore, je n’abandonnerai jamais le pauvre Tom Coffin à un destin si déplorable. Songez, Merry, qu’en ce moment peut-être il songe à nous, et prie son Créateur de diriger nos yeux vers lui ; car, je puis vous l’assurer, Tom Coffin priait souvent Dieu, quoiqu’il le fît quand il était de quart et silencieusement.

— S’il eût été si attaché à la vie, répondit le midshipman, il aurait fait plus d’efforts pour la conserver.

Barnstable s’arrêta tout à coup et regarda son compagnon de manière à lui faire entendre qu’il commençait à partager sa conviction. Mais comme il allait lui adresser la parole, ses marins poussèrent de grands cris, et s’étant tourné vers eux, il en vit quelques-uns qui étendaient le bras vers la mer d’un autre côté, comme pour leur montrer quelque objet encore éloigné. Le lieutenant et le midshipman coururent à eux, et quand ils y furent arrivés, ils virent distinctement le corps d’un homme tantôt soulevé par les vagues, tantôt disparaissant sous leur écume, et ayant déjà franchi la dernière ligne des brisants : enfin une vague le jeta sur le sable, et l’y laissa en se retirant.

— C’est mon pauvre contre-maître ! s’écria Barnstable ; et suivi de Merry et de tous ses marins, il courut vers l’endroit où la mer venait de déposer sa victime. Mais quand il en fut à deux ou