Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/288

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des mois, des ans, à m’apprendre notre profession ; il me suivit ensuite de navire en navire, de mer en mer, et il ne m’a quitté que pour attendre la mort où j’aurais dû la trouver, comme s’il eût senti la honte de laisser périr le pauvre Ariel sans aucun témoin de ses derniers moments.

— Non, non, s’écria Merry ; c’est son orgueil superstitieux qui… Mais s’apercevant que Barnstable se couvrait le visage des deux mains, comme pour cacher sa sensibilité, il se tut par respect pour son officier, dont il ne pouvait voir l’émotion sans la partager lui-même, et il fut presque aussi soulagé que son lieutenant quand il vit tomber ses larmes.

Merry avait vu avec un profond respect l’air imposant et sévère de son commandant dans les moments de danger ; traité par lui avec une cordialité franche aux heures où l’autorité faisait place à l’amitié, il avait conçu pour Barnstable une vive affection ; mais en cette occasion, assis à côté de lui sur une pointe de rocher, il le regardait en silence avec un attendrissement presque religieux. Barnstable parvint enfin à calmer son agitation ; ses traits devinrent plus sereins malgré un reste de sombre fierté dans son regard ; et s’étant levé, il prit la parole d’un ton si brusque que le jeune midshipman ne put s’empêcher d’en tressaillir.

— Allons, Monsieur, allons ; que faisons-nous ici ? Ces pauvres diables qui sont là-bas n’attendent-ils pas nos ordres et nos avis sur ce qu’ils doivent faire dans leur malheureuse position ? Marchons, monsieur Merry ; ce n’est pas le temps de vous amuser à dessiner sur le sable avec la pointe de votre poignard. La marée va bientôt descendre, et nous serons trop heureux si nous trouvons parmi ces rochers quelque caverne pour reposer notre tête. Occupons-nous-en pendant que le soleil nous éclaire encore, et voyons si nous avons des vivres pour nous nourrir et des armes pour résister à nos ennemis, jusqu’à ce que nous puissions nous remettre en mer.

Le jeune homme, à qui l’expérience n’avait pas encore appris à connaître les effets des réactions des passions, se leva avec surprise à cet ordre inattendu qui le rappelait à son devoir, et il suivit son lieutenant qui marchait à grands pas vers ses marins. Barnstable ne tarda pourtant pas à reconnaître que son chagrin lui avait inspiré un ton de sévérité injuste ; et ralentissant sa marche, il reprit insensiblement avec Merry le ton de franchise