Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/347

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bétail femelle, je ne vois pas que nous retournions au vaisseau plus riches que nous n’en sommes partis.

— Pas plus riches ! dit un jeune et joyeux marin qui avait écouté en silence la conversation de ses deux camarades plus intéressés ; je crois que nous sommes frétés pour une croisière dans les mers où le quart du jour dure six mois. Ne voyez-vous pas que nous avons déjà double ration de nuit ?

Et en parlant ainsi il passa la main sur la tête laineuse des deux nègres du colonel Howard qui marchaient près de lui, occupés de fâcheux pressentiments sur les suites que pourrait avoir pour eux la perte inattendue de leur liberté.

— Virez la tête à tribord ! Eh bien ! qu’en pensez-vous ? N’avez vous pas les ténèbres visibles ?

— Laissez là ces noirauds ! dit le plus âgé des interlocuteurs ; qu’est-ce que vous voulez faire de pareils oiseaux ? Avez-vous envie de les faire chanter pour attirer quelqu’un des officiers dans vos eaux ? Quant à moi, Sam, je ne vois pas pourquoi nous restons depuis si longtemps à courir des bordées le long des côtes, n’ayant souvent que dix brasses d’eau tout au plus, quand en avançant dans l’océan Atlantique nous pourrions rencontrer presque tous les jours quelque bâtiment venant de la Jamaïque, et nous procurer du rum et du sucre en aussi grande abondance que nous avons maintenant de l’eau et du biscuit.

— C’est ce pilote qui en est la cause, s’écria Ben ; car voyez-vous, si la mer n’avait pas de fond, il n’y aurait pas de pilote. C’est une mauvaise croisière quand on trouve le fond à cinq brasses, et que le plomb tombe sur du sable ou sur un rocher. Et puis faire une pareille manœuvre de nuit ! Si nous avions des jours de quatorze heures au lieu de sept, on pourrait se préparer pendant les dix autres.

— Vous êtes deux vieux chevaux marins, dit le joyeux Sam. Ne voyez-vous pas que le congrès veut que nous coulions à fond tous les bâtiments côtiers de John Bull, et que le vieux Souffle-Raide a trouvé les jours trop courts pour cette besogne ? Voilà pourquoi il nous a fait faire une descente pour nous emparer de la nuit. La voilà, nous en sommes maîtres ; quand nous serons sur la frégate, nous l’enfermerons à fond de cale, et nous reverrons la face du soleil. Allons, mes lis, relevez la tête pour que ces vieux enfants de Neptune puissent voir les fenêtres de votre