Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieutenant, qui ne boit que ce que j’appelle des éléments, c’est-à-dire de l’eau et de l’air ?

— Il est vrai que M. Griffith donne à tout l’équipage un exemple très-salutaire, répondit le chapelain, à qui sa conscience reprochait peut-être un peu de ne pas le suivre très-scrupuleusement.

— Salutaire ! s’écria Boltrope ; permettez-moi de vous dire, mon digne Tourne-Pages, que si vous appelez cette diète salutaire, vous ne savez ce que c’est que l’eau salée et les brouillards de la mer. Quoi qu’il en soit, M. Griffith est bon marin ; et s’il avait eu dans la tête moins de minuties et de babioles, il serait, quand il arrivera à notre âge, une espèce de compagnon très-raisonnable. Mais voyez-vous, ministre, il est trop occupé de ce que j’appelle des fadaises de discipline. Sans doute il faut donner de nouvelles garcettes aux câbles, balayer le pont… Lofez ! lofez donc ; est-ce que vous avez envie de nous conduire en Allemagne ?

— Tout cela est bel et bon, voyez-vous, ministre ; mais du diable si je vois à quoi sert de faire tant d’étalage pour savoir quand un homme change de chemise. Qu’importe qu’il en change cette semaine ou la semaine prochaine, ou celle d’ensuite ? En vérité, j’ai quelquefois de l’humeur quand il s’agit de passer l’inspection ; et ce n’est pas que je craigne les observations de personne quant à la conduite, mais c’est que je m’attends qu’un beau jour on me dira que je mâche mon tabac du côté droit quand je devrais le mâcher du côté gauche.

— J’avoue que j’ai moi-même trouvé quelquefois cette discipline portée à l’excès, et elle est surtout vexatoire pour l’esprit quand le corps souffre du mal de mer.

— Oui, oui, je me souviens de vous avoir vu faire assez de grimaces pendant le premier mois de notre navigation, à telles enseignes qu’une fois le capitaine des soldats de marine fit voltiger sa rapière sur votre poupe, parce que vous vous pressiez trop en ensevelissant un mort. Dans ce temps-là, et, ma foi, tant que vos culottes noires à boucles ont duré, vous n’aviez pas l’air de faire partie de l’équipage. Quant à moi, je ne vous voyais jamais monter à l’échelle du gaillard d’arrière sans craindre pour vos jambes. Qui ne vous aurait pas connu vous eût pris pour le diable. Mais, Dieu merci, ces maudites culottes sont devenues hors d’état de tenir la mer, et le munitionnaire a couvert les épontilles de