Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/389

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mettre l’usage de la parole, le capitaine fit avec le bras un signe expressif à son premier lieutenant pour lui indiquer la manœuvre qu’il devait faire pour éviter le danger, et Griffith le comprit parfaitement. Les deux navires virèrent au vent en même temps, la proue tournée vers la terre, et les larges flancs du vaisseau à trois ponts percé de sa triple batterie, tournés vers son ennemi, vomirent un déluge de feu et de fumée qui fut suivi d’une explosion près de laquelle le sourd mugissement de l’Océan endormi n’était rien. Les plus braves marins qui se trouvaient à bord de la frégate frémirent en entendant siffler l’ouragan chargé de fer qui passait sur leurs têtes et au milieu d’eux, et tous les yeux semblaient frappés d’un étonnement stupide, et vouloir suivre dans leur vol ces instruments rapides de destruction. La voix du capitaine Munson se faisait entendre à l’instant où l’éclair partit, et son bras agitait son chapeau dans la direction qu’il voulait qu’on suivît dès que la bordée aurait produit son effet.

— Au gouvernail ! monsieur Griffith ! au gouvernail ! et reprenez…

Griffith avait prévu cet ordre, et il avait déjà fait le mouvement nécessaire pour tourner la proue de la frégate dans sa première direction, mais surpris que son commandant ne finit pas sa phrase il leva les yeux sur lui, et vit son vieux capitaine qui tombait dans la mer, emporté par un boulet, son bras étendu agitant encore son chapeau, ses cheveux gris flottant au gré du vent et ses yeux exprimant déjà la dernière angoisse de la mort.

— Juste ciel ! s’écria le jeune lieutenant en courant vers le bord du vaisseau, où il arriva à temps pour voir disparaître le corps du vétéran sous les eaux teintes de son sang, un boulet l’a frappé ! mettez une barque en mer, vite ! la barge, le Tigre, le…

— Cela est inutile, dit le pilote d’une voix calme et ferme ; il a reçu la mort d’un guerrier et il repose dans le tombeau d’un marin. La frégate a repris le vent, et l’ennemi reste en arrière.

Ces mots rappelèrent Griffith à ses devoirs. Il détourna ses yeux du point de l’Océan que le sang du capitaine marquait encore et dont la frégate s’éloignait déjà, et il reprit le commandement du vaisseau avec un calme forcé.

— Ces boulets d’enfer nous ont coupé quelques cordages, dit le quartier-maître dont les yeux avaient toujours été fixés sur les vergues et sur les agrès ; ils ont fait tomber du grand mât une